Le Centre Camus ABA de Villeneuve-d’Ascq accusé* de maltraitance par le père de deux jeunes enfants autistes

 Kristell JEANNOT

* Information confirmée par l’Agence Régionale de Santé le 29 février 2012 via l’IGR

 

Sinistre dossier que celui révélé par Sophie Dufaut le 3 avril dernier dans Mediapart**: le Centre Camus, tête de pont en France de la prise en charge des enfants autistes via la méthode comportementale ABA, créé par Vinca Rivière, maître de conférences à l’université de Lille 3, est accusé par le père de deux jeunes enfants autistes, Fernando Ramos, de maltraitance. La visite de quatre membres de l’équipe d’inspection (IGR) chargés par l’ARS de vérifier les dires du parent confirme la plainte : selon le rapport, ce centre présente des « dysfonctionnements » constituant « des facteurs de risques de maltraitance susceptibles d’avoir des répercussions sur les enfants accueillis ».

En juillet 2011, ce parent d’enfants autistes tire la sonnette d’alarme afin de tenter « d’ouvrir les yeux des pouvoirs publics sur les méthodes utilisées par le centre Camus », soutenu « fortement » par Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé comme en témoigne un courrier révélé par la journaliste. La plus jeune de ses filles développe en effet après 20 mois de traitement ABA un eczéma géant, elle est redevenue incontinente «  elle se faisait dessus jusqu’à dix fois par jour… ». « Calme et gentille », sa petite fille développe des comportements agressifs : « Elle jetait les objets pendant les séances, elle commençait aussi à taper les intervenants. » La mère de l’enfant, sera témoin elle aussi de ces inquiétantes méthodes : « La mère de mes filles de passage dans le Nord pendant les vacances d’avril est repartie en pleurant lorsqu’elle a vu la psychologue assise sur Alicia pendant 45min dans les toilettes pour ne plus qu’elle bouge. » Pour que l’enfant ne jette plus d’objet, une procédure dite «de blocage» était employée, consistant à lui serrer les bras le long du corps : « Tous les soirs je récupérai ma fille avec de très nombreux bleus sur les bras et poignets », poursuit-il dans son récit poignant. Il raconte que sa « fille a été pendant deux mois régulièrement consignée dans un coin d’une pièce murée par un matelas afin qu’elle ne se cogne pas, et dans le noir absolu, selon la procédure dite du « time out ».

Vinca Rivière, fondatrice et actuellement trésorière du centre ne conteste pas les propos tenus : « le time out, c’est une procédure de punition ». Concrètement, « Si un enfant a des troubles du comportement associé à des stimulations sensorielles, comme par exemple la lumière, on va faire en sorte que ces stimulations-là ne l’atteignent pas. Elle précise qu’ici, faute de salle particulière, « on occulte la fenêtre ». « Il y a des institutions qui mettent un chapeau sur la tête pour occulter la lumière », poursuit-elle, voire une cagoule sur la tête de l’enfant. Pour bien faire comprendre la méthode ABA, elle prend un autre exemple : « En analyse du comportement, il y a des procédures de punition par choc électrique. Tout le monde trouve ça scandaleux, mais c’est accepté par le gouvernement hollandais sous certaines procédures pour des troubles sévères et en derniers recours. Ce qu’on appelle « choc électrique », on le présente en formation en faisant sucer une pile de 9 volts : ça picote la langue. Mais ça suffit à changer un comportement, je l’ai vu en Hollande, et l’efficacité en est démontrée depuis les années 50. » Les inspecteurs mandatés par l’Agence régionale de santé du Nord-Pas-de-Calais n’ont pas recueilli ce type d’explication. Ils ont simplement examiné les faits relatés par la plainte de Fernando Ramos. Toutefois, leur enquête auprès du personnel confirme que « les hématomes (constatés sur les bras de la fillette) sont consécutifs aux blocages exercés par l’éducateur », et que des temps de time-out, solution pourtant dite « extrême », ont bien été mis en place.

Mais les découvertes ne s’arrêtent pas là. On découvre une prise en charge au coût exorbitant, 5000 euros de formation assortis de 600 euros par mois pour les supervisions des psychologues, financés par ce père de famille, pour assurer le traitement ABA, alors même que dans le compte-rendu d’une réunion des délégués du personnel, en avril 2011, les éducateurs et les intervenants font part de « leur impression d’être délaissés » et « l’ensemble des salariés constate qu’il y a un manque de supervision ». Faits confirmés, eux-aussi par les conclusions de l’inspection, « les éducateurs et intervenants nouvellement embauchés bénéficient de deux jours de formation théorique, puis de trois jours d’observation, suivis trois à quatre semaines plus tard d’une formation de deux jours. Sur le papier. Car dans les faits, cette seconde formation n’a pas été instaurée ». Assurant proposer pour chaque enfant, à raison d’au moins 30 heures par semaine, la présence constante « d’un, deux, trois, voire quatre adultes dans un cas très difficile », ce centre a naturellement besoin de beaucoup de personnel. Alors durant toute l’année scolaire, des stagiaires en Master 2 « Psychologie spécialité analyse expérimentale appliquée au comportement » de l’université de Lille 3 « assurent des missions d’intervention auprès des enfants et des tâches propres au psychologue », notent les inspecteurs. En outre, certains parents se plaignent, en conseil de la vie sociale, qu’un turn-over important perturbe la prise en charge. En effet, depuis l’ouverture du centre, presque la moitié du personnel intervenant auprès des enfants a démissionné et « les arrêts maladie sont journaliers », constatent les inspecteurs au vu des registres de 2010 et 2011.

Par ailleurs, la pluridisciplinarité dans la prise en charge des enfants, contrairement aux recommandations de la Haute autorité de santé est rejetée. Pas de partenariat non plus avec des structures extérieures, alors que comme le rappelait déjà une première rencontre avec les agents de l’ARS en début 2011, la loi oblige les structures expérimentales à passer des conventions avec d’autres professionnels de santé, rappelle la journaliste.

Devant le souhait de parents de voir intervenir kinésithérapeutes, orthophonistes, ergothérapeutes, et autres enseignants de français ou mathématiques, Vinca Rivière rétorque qu’« ici, c’est l’ABA et rien d’autre ». En cette fin mars 2012, à Villeneuve-d’Ascq, elle s’en explique à la journaliste : « Il y a les parents qui veulent faire ça, ça et ça… mais ce n’est pas possible, ce n’est pas dans le protocole scientifique et ça peut avoir des conséquences sur la mise en place du traitement. On ne fera pas entrer dans le centre des professionnels qui n’ont pas de connaissances en analyse du comportement », « nous, en France, on ne les prend pas parce qu’ils n’ont pas la même approche scientifique que nous». Une sombre conclusion clôt le dossier sur le centre ABA de Villeneuve-d’Ascq. L’agence régionale de santé a confirmé à Sophie Dufaut que l’autorisation du centre Camus sera renouvelée.

  ** « Autisme : un courrier embarrassant pour un centre toujours cité en exemple », par Sophie Dufau.

 

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