La Haute Autorité de Santé a décidé de ne pas recommander la pertinence de la psychanalyse dans le traitement de l’autisme — en fait elle s’est abstenue d’émettre un jugement sur cette pratique estimant que celle-ci faisait l’objet d’un avis divergent sur son efficacité et qu’elle était non consensuelle.

Elle précise que les recommandations de bonnes pratiques « ne sauraient dispenser le professionnel de santé de faire preuve de discernement dans sa prise en charge du patient, qui doit être celle qu’il estime la plus appropriée en fonction de ses propres constatations ».

L’autisme est une pathologie complexe, aujourd’hui réduite sous le diagnostic : « Troubles envahissants du comportement ». Et ce discernement souhaité par la Haute Autorité sur la particularité du soin en fonction du cas, contredit la validité des recommandations où le consensus obtenu provient de considérations statistiques sur les cas examinés.

À la singularité de chaque cas doit correspondre une prise en charge elle aussi singulière. En voici un exemple.

Melle A est une jeune femme de 27 ans que je reçois à mon cabinet depuis l’année 2004.

Sa maman était venue me voir des années auparavant pour des problèmes relationnels. Elle évoquait alors les difficultés qu’elle rencontrait avec sa fille âgée à ce moment là de 12 ans. Celle-ci souffrait d’un handicap neurologique qui était selon elle la conséquence d’un accouchement très difficile.

Melle A avait rencontré durant quatre ans un pédopsychiatre, mais celui-ci ayant quitté la ville où elle résidait, sa mère m’avait recontactée pour me demander si j’accepterais de recevoir sa fille alors âgée de vingt ans et qui était dans un état de grande angoisse.

Elle était dans un IME depuis la petite enfance, ses parents travaillaient tous les deux dans le milieu socio-éducatif.

Melle A n’a jamais eu accès au langage. C’est donc une histoire sans parole mais pas sans échanges qui va se nouer avec elle, car comme le rappelait le Docteur Lacan à propos de l’autisme dans la conférence de Genève sur le symptôme : « Il y a pourtant sûrement quelque chose à leur dire ».

Dans les premiers moments de nos rencontres je la recevais, à sa demande, une fois par semaine. Un rituel s’était alors établi d’emblée : la séance se déroulait en deux temps, le premier temps ou je recevais Melle A toute seule, et le deuxième temps où à sa maman venait nous rejoindre.

Dans les débuts de nos rencontres, Melle A ne prenait jamais la main que je lui tendais, que ce soit pour dire bonjour ou au revoir. Quand elle se déplaçait, je remarquais qu’elle était encombrée de son corps comme si rien, pas même ses vêtements, ne pouvaient  faire limite pour le contenir. Elle ne prêtait pas attention aux objets qui l’entouraient bousculant tout sur son passage, laissant tomber ce qui l’habillait, son manteau ou son sac. Tout paraissait glisser sans qu’elle ne retienne rien et sans que cela ait un effet sur elle.

Pourtant, durant le temps de la séance avec elle, quelque chose se mettait à exister. Elle occupait ce lieu et s’y trouvait apaisée, un sourire apparaissait sur son visage.

A chaque début de séance, il lui était important de vérifier l’écriture de son nom sur mon agenda. Elle essayait alors d’écrire son prénom et, à sa demande, je lui dictais  les lettres qui le composaient, même si cela représentait pour elle un effort très fatigant. Au bout d’un long moment, quelques années surement, elle réussit à écrire ce prénom sans avoir besoin de ma dictée.

Elle s’exprimait par des gestes, aucun son ne pouvait sortir de sa bouche, même si parfois elle s’essayait à dire seulement « oui », mais c’était un son qui avait pour seule résonance l’expression que l’on pouvait lire sur son visage. C’est donc moi qui parlais, c’est le choix que je faisais, aidée en cela par ce qu’écrivait Gabriel Lombardi lors du Conciliabule d’Angers en 1996 : « Comment agir avec un sujet qui ne parle pas, les questions que je lui posais n’avaient pas de réponses, j’ai donc pris le parti de lui parler moi-même ».

Ses gestes, qui lui permettaient de s’exprimer, étaient souvent énigmatiques car leur signification n’était jamais la même, et si je n’en traduisais pas immédiatement le sens qu’elle y donnait, cela entrainait pour elle une grande inquiétude qui la laissait dans un état de perplexité face à mon incompréhension. Il n’était alors pas question d’insister.

À ce moment là de la séance Melle A m’indiquait qu’il était temps d’aller chercher sa mère.

Ce deuxième temps en présence de sa mère m’avait permis de comprendre que sa mère c’était en quelque sorte sa voix. Quand elle me donnait quelques éléments sur la vie de sa fille, Melle A était comme absorbée dans le regard et les mots de sa mère.

Ce deuxième temps était nécessaire pour elles deux. Sa maman l’avait approprié à la demande de sa fille et je ne me suis jamais opposée à ce dispositif. L’espace que Melle A occupait dans le temps de sa séance n’était pas abimé par la présence de sa mère dans le deuxième temps, mais j’observais que se produisait dans ce battement seule/accompagnée, une coupure dans le couple mère – fille.

Quelle est donc la place que j’occupe dans ce lien mère – fille ? Il y a un usage pluriel de cette place : pour Melle A je représente un lieu extérieur à ce lien, et là où il y a un nouage entre elles deux, j’introduis une possibilité de desserrage de ce nœud.

Pour Melle A, la présence de l’analyste lui donne une place séparée de sa mère et crée un lien inédit. Pour sa mère, la présence d’un tiers interpose un voile entre elle et sa fille.

La place que j’occupe permet peut être d’introduire du semblant là ou il n’y en a pas, là ou le réel domine.

Dans les séances sont privilégiées les semblants de la psychanalyse qui ne sont pas ceux du lien social que peuvent être ceux de l’institution dans laquelle Melle A se trouve aujourd’hui et qu’elle n’accepte pas toujours.

Ce dispositif que nous avons inventé permet de faire apparaître le sujet. Pour Melle A aujourd’hui cela se réalise dans le changement de son rapport à l’autre. Elle peut désormais, en me disant « bonjour » ou « au revoir », me tendre la main. Elle s’éparpille un peu moins dans sa façon de se mouvoir. Dans mon cabinet elle s’intéresse désormais à l’ordinateur. Ensemble, nous recherchons son prénom qu’elle écrit elle-même sur le clavier, ainsi que le nom de la petite ville dans laquelle elle réside.

S’opposait à ce débordement corporel une certaine délicatesse dans la tenue d’un crayon ou d’une paire de ciseaux, par exemple quand elle voulait découper du papier. Ses dessins sans forme sont devenus aujourd’hui, même si c’est une activité très rare pour elle, des représentations aux contours un peu plus élaborés.
Melle A accepte le lieu et le lien de la séance mais à la condition que sa mère ne soit pas trop loin.

«  Le semblant comme objet a permet d’atteindre le réel » écrivait le Docteur Lacan dans Encore. Le semblant de la psychanalyse permet à Melle A que son réel soit écouté et entendu sans aucunes visées éducatives.

C’est aussi ce qu’essaie de faire sa maman : croire à ce semblant, décoller le réel en acceptant de l’adresser à quelqu’un par les voies de l’imaginaire.  

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