Le projet de loi « pour que cessent les pratiques psychanalytiques dans l’accompagnement des jeunes patients autistes » déposé par le député U.M.P. Daniel Fasquelle le vendredi 27 janvier 2012, s’inscrit dans l’axe des multiples projets de loi déposés depuis quelques années  au nom d’une sécurité publique dont le sens ne cesse de s’élargir.

Ce projet de loi est choquant pour plusieurs raisons qui vont des plus personnelles aux plus générales.

Un projet de loi qui restreint gravement la liberté personnelle

Mère d’un petit garçon de 7 ans et demi, ce projet de loi, s’il est voté aura pour effet de restreindre gravement ma liberté de parent : celle de choisir que mon fils soit suivi par un psychanalyste plutôt que par un psychiatre cognitivo-comportementaliste. Comme le prétendent de nombreuses associations de parents d’enfants autistes, il est vrai la psychanalyse ne garantit pas de résultats. L’essence même de la psychanalyse n’étant pas de « garantir » mais de  « respecter » au plus profond la singularité de chacun.

L’effet de ce projet de loi, contrairement à ce qui est soutenu, n’est pas de protéger le sujet autiste mais bien de lui imposer un mode de soin, combien même celui-ci ne serait pas, selon mon idéal, adapté à mon enfant ; et en éradiquant un autre dans lequel en tant que parent je me retrouve en phase.

Le dispositif psychanalytique apporte de réelles améliorations dans le traitement des troubles autistiques (dont la définition s’est élargie)

Mon fils de 7 ans et demi a été confronté à une forme d’autisme dès l’âge de 3 ans. Comme la plupart des parents, j’espérais un traitement sûr afin que mon fils devienne « normal ». Les psychiatres cognitivo-comportementalistes que mon fils a eu l’occasion de rencontrer pendant 8 mois n’ont cessé de l’observer, de le diagnostiquer et de l’évaluer. Leur but étant de trouver le dispositif à même de le faire rentrer dans la normalité sociétale au prix d’efforts démesurés de sa part et de crises constantes. Cette expérience m’a ouvert les yeux sur une chose : mon fils s’en sortira s’il est heureux de vivre et qu’on ne le contraigne pas de force à rentrer dans une norme. Jusqu’à la fin de l’année scolaire j’ai cherché la personne apte à recevoir sa différence. Mon fils a enfin eu la chance de rencontrer un psychanalyste psychiatre qui su l’écouter et entendre sa différence, le faisant progresser tout en respectant sa personne sans jamais dramatiser ni le contraindre. Loin de le forcer à rentrer dans une norme impérative, ce psychanalyste continue de respecter humainement mon fils et le fait avancer à son rythme, chaque petit pas étant un acquis. Cette rencontre a été fondamentale dans l’évolution de mon fils et l’appréhension de sa différence enrichissante  par ses proches dont je fais partie. Elle a également contribué, de façon indirecte, à une prise de conscience et de responsabilité de ma part quant à mon rôle de parent. Si cela a pu être difficile à admettre au début des séances de psychanalyse cette prise de responsabilité s’est révélée fondamentale et démontre que l’être humain a bien une part personnelle à jouer dans l’issue de son destin et de celui de ses enfants. Mon fils est aujourd’hui parfaitement intégré dans sa classe de CP, il a des amis, travaille bien, s’exprime très bien. Les phases de régressions qu’il traverse sont de plus en plus rares et sont appréhendées comme des alertes, elles ne nous font plus peur.

La psychanalyse, plutôt que de stigmatiser les difficultés d’un enfant, permet de les lui faire accepter comme une différence à laquelle il est confronté à un moment donné de sa vie et sur laquelle il doit construire et tenter de s’épanouir. Appréhendées comme une  force et non plus comme un handicap, ces différences que l’on dit pathologiques peuvent alors disparaître petit à petit. En psychanalyse le temps est un allié !

Un projet de loi relais de la politique sécuritaire menée actuellement en France

La volonté de protéger l’individu en instaurant des mesures qui vont dans le sens du quantifiable et du résultat, de la sécurité au sens large peut se retourner contre l’individu à travers des lois restrictives de sa propre liberté.

Pour le conseiller d’état Olivier Schramcek* « la sécurité suppose la prévention, l’évaluation, tout autant que, bien évidemment la répression ». Les méthodes comportementales utilisent et revendiquent la prévention et l’évaluation. Une loi qui imposerait ces  méthodes aux jeunes sujets autistes en interdisant la psychanalyse serait répressive. Une telle loi  irait à l’encontre de nos libertés personnelles si précieuses en ces temps, pour valoriser une justice au service de la peur.

C’est pourquoi imposer les méthodes comportementales dans le soin des sujets autistiques c’est d’une certaine façon faire le jeu du tout sécuritaire, du tout garanti, du résultat à tout prix : comme le rocher de Sisyphe, promettre la lune n’est qu’un leurre. La société actuelle a horreur de l’incertitude mais l’incertitude est le propre de l’homme : l’homme qui serait sans incertitude cesserait par là même d’être un homme pour devenir machine. Les romans et films d’anticipation tels que 1984 et Orange Mécanique nous en ont déjà donné une vision qui s’avère malheureusement de plus en plus réaliste.

Au lieu d’attendre des promesses et des garanties, il serait certainement plus judicieux de commencer à envisager l’autre, l’humain, avec ses différences comme une richesse de laquelle on puisse apprendre pour grandir en société.

 

* Président de section au Conseil d’État

Revue RFDA novembre-décembre 2011, Colloque, « Sécurité et liberté »

Comments are closed.