La quarantaine. Stéphane Daure

« Le Diable probablement » avait envoyé trois émissaires chez Mollat, à Bordeaux, samedi 26 novembre.

Philippe La Sagna, toujours impeccable, plantait le décor avant de laisser la parole aux représentants de Lucifer. Il fut question d’affirmation du Pourquoi Lacan. D’une sorte d’évidence de l’engagement au quotidien à partir de la psychanalyse lacanienne et de la lecture qu’elle permet face à ce qu’on nomme désormais le réel. Cet engagement s’est m(o)térialiser par cette revue après la déclaration de guerre de l’amendement Accoyer en 2003. Ce sont de jeunes trentenaires, de différents horizons professionnels mais pour lesquels, à des degrés divers, le signifiant Lacan fait transfert.

Vint le moment des réactions de la salle. Admiration, enthousiasme, relance du goût de lire. Tout cela très juste. Toutefois c’est une question que j’attrapais, provenant d’un vieil infirmier psychiatrique, sans doute à la retraite, qui mettait en perspective trois moments de l’Histoire : la 1° Guerre Mondiale, la 2° Guerre Mondiale avec le nazisme, et Mai 68, en interrogeant leur vocation à questionner le désir face à un certain réel. La deuxième partie de sa question, faussement innocente, questionnait directement le niveau de l’école, au vu du jeune âge de l’A.E, Anaëlle Lebovits-Quenehen, présidente de la revue.

La question fut retournée à son propriétaire un peu rapidement : Mai 68 n’ayant rien à voir avec le nazisme. Soit. Ce dernier ayant encore des effets actuellement. Soit. Mais c’est moi qui répondais silencieusement. Je suis né en 1967, donc peut-être un peu plus directement concerné par ces évènements que les trentenaires, du moins pour les effets générationnels. Mes amis, mes collègues du même âge, me disais-je, n’ont jamais eu la fibre de l’engagement citoyen, associatif ou autre, ne se sont jamais vraiment engagés dans la chose politique. Je suis psychiatre, orienté par la psychanalyse, et dans l’Ecole de la Cause, les représentants de la quarantaine se font peu entendre, à mon avis.

Pour ce qui est de la psychiatrie, nous sommes la génération qui a incarnée la « douce »mise à l’écart de la psychanalyse dont l’apogée se situe aux années 60-70, ce qui coïncide d’ailleurs avec l’arrivée de médicaments efficace dans la prise en charge des psychotiques. Les « vieux » psychiatres hospitaliers témoignent de cette hégémonie psychanalytique, et parfois de sa suffisance. Mais la psychanalyse a été déposée gentiment par un effet d’ « eau bénite », reprenant une expression de La Sagna, ses concepts « à la papa » (complexe d’oedipe…) étant vidés de leur tranchant, rangés sur l’étagère.

Tout cela est à re-situer dans un contexte de montée en puissance du plus-de-jouir capitaliste encore peu féroce. Un côté tout m’va-bien de ma génération. La révolution revient à la même place, le silence s’impose différemment. On a fait un grand tour de manège, maintenant attrapez les bonbons du capitalisme et dodo.

Par ailleurs il me semble que le ressort se tendait à nouveau avec nos suivants les trentenaires actuels. Les effets des injonctions surmoïques à jouir arrivant sans doute à un point de saturation, traduit dans le malaise actuel. Accoyer, sans en mesurer les effets, a tranché ce ressort, libérant toute l’énergie accumulée : forums, revues…

Je sortais divisé de la conférence. J’aurai dû parler me disais-je – mais je n’ai pas osé. Mettant peut-être en acte, ce symptôme de mise en quarantaine je m’apercevais plus loin de qui avait pris la parole ce soir là : Des vieux psychanalystes  et des jeunes trentenaires.

Quid des quadras ?   

Publié dans le N° 104 de Lacan Quotidien 

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