Illecture et lecture parArmand Zaloszyc

 Lors de l’émission Par ouï-dire du 16 novembre à la R.T.B., on pouvait entendre, dans un extrait de la conférence à Louvain de 1972, Lacan s’écrier, à propos de ce qu’il en est de l’inconscient: « Le langage ça n’a jamais, ça ne donne jamais, ça ne permet jamais de formuler que des choses qui ont 3, 4, 5, 25 sens ».

Est-ce avec la même idée qu’il y a peu, ici-même, dans Lacan Quotidien, Françoise Labridy, rapportant un propos de Jacques-Alain Miller à la librairie Grangier à Dijon, évoquait le pouvoir d’illecture de Lacan ? C’est que, je crois bien, cette indication de la conférence de Louvain s’applique aussi bien au propre texte de Lacan. Et Lacan en faisait pour lui-même un point de méthode, une sorte de « règle pour la direction de l’esprit », qui me paraît aussitôt devoir se décliner sous l’espèce de deux de telles règles, qui deviennent donc, par réversion, des règles pour la lecture de Lacan :

La première est la règle je ne sais pas ce que je dis. Vous reconnaissez ce point lorsque vous l’entendez dire à ses auditeurs, dans le cours de tel Séminaire, de manière itérative, si ma mémoire ne me trompe pas : « Vous savez peut-être ce qu’est l’inconscient (ou la pulsion, ou la répétition, etc), moi je ne le sais pas [pas encore ?]. 

Une deuxième règle est la règle Persecution and the Art of Writing – du titre du livre où Léo Strauss nous montre que, dans certaines conditions de censure, un auteur peut parfaitement faire entendre à ceux qui savent le lire ce qu’il veut dire au-delà de ce qu’il dit, qui peut être très différent. Disons que c’est la règle vous pouvez en savoir plus que ce que je dis. (Cette règle est un Scilicet).

Je ne sais pas ce que je dis et vous pouvez en savoir plus que ce que je dis, c’est précisément une tentative de serrer ce qu’est l’inconscient freudien, ce qu’on a résumé, à l’occasion, dans l’expression « un savoir insu ».

Règle de lecture psychanalytique, cette double règle vaut aussi pour lire Freud. Et tout spécialement, il me paraît qu’en relève la fameuse confidence de Freud à Marie Bonaparte sur son ignorance, en fin de compte, de ce que veut la femme – Was will das Weib ? – question qu’il nous dit laisser irrésolue. Je lis maintenant cette question avec ma double règle : la règle je ne sais pas ce que je dis et la règle vous pouvez en savoir plus que ce que je dis, et je m’interroge si la question irrésolue de Freud et ces deux règles sont coextensives, si elles ont un rapport, voire un rapport où l’ignorance de ce que veut la femme se tient dans la situation d’une détermination causale sur l’inconscient.

J’avance donc en court-circuit que la formule il n’y a pas de rapport sexuel n’est qu’une autre façon d’expliciter le rapport entre « ce que veut la femme » et l’inconscient.

Publié dans le N° 104 de Lacan Quotidien 

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