Nuit et Éclats de cristal par Armand Zaloszyc

Hier, 9 novembre, l’anniversaire de la Nuit de cristal. Encore une fois.

Le mail, en anglais, commente : The event was called Kristallnacht, which means, “Night of Broken Glass.” It’s generally considered the official beginning of the Holocaust.

Je ne discute pas ce point : est-il justifié de considérer l’événement de cette façon ? Bien sûr, rien n’est affirmé ici d’inéluctable, mais il n’y a pas de doute qu’il s’impose à nous un effet de rétrospection difficilement évitable.

Dans les pays de langue anglaise, le terme reste le plus souvent Holocauste, tandis qu’en français Shoah s’est imposé depuis que le film de Claude Lanzmann lui a donné un retentissement immense.

Une polémique récente, à laquelle les journaux ont donné un certain écho, ramène sur le devant de la scène la question du terme le plus approprié, ou le moins inapproprié, pour désigner ce dont il s’agit.

On réfute holocauste au motif qu’il ne s’agit pas d’un sacrifice offert à un Dieu, ce qu’à Dieu ne plaise. Curieusement, on avance même contre ce terme qu’il signifiait « le contraire de ce que les Juifs avaient subi puisqu’ils n’avaient pas choisi d’être sacrifiés. » Le plaidoyer le plus puissant contre holocauste reste encore celui de Léon Askénazi, « Et il arriva, à la fin des temps », paru sous la forme d’un article de revue en 1989. En tout état de cause, tous les arguments contre holocauste se ramènent à dire que, consenti ou pas (il y a là encore un abîme), il ne peut s’agir d’un sacrifice à Dieu, parce qu’un sacrifice à Dieu est réponse à la demande de Dieu. Ce ne peut donc être un holocauste.

On écarte forcément ainsi le fait qu’il puisse y avoir un Dieu d’au-delà de la demande, ce qu’atteste pourtant toute l’Histoire Sainte. On écarte forcément ainsi la volonté de jouissance d’un dieu obscur en nous. On se tient à la routine du signifié du mot holocauste, et on ne veut y voir que le signifiant d’un sacrifice ritualisé.

Evidemment, Shoah n’a pas cet inconvénient, puisque son signifié n’a pas (encore ?) subi les aléas de l’histoire de la langue. Shoah apparaît encore comme un mot erratique, bien approprié à figurer le signifiant qui désignera ce pour quoi les mots manquent. Il a ainsi l’avantage de préserver la dimension d’une énigme à laquelle aucun sens ne satisfera. Il prend sur lui une part d’ombre, et l’étend au-dessus de nous. Mais qui dira si ce n’est pas l’ombre du dieu obscur qui appelle encore l’interminable offrande ?

 Publié dans le N°88 de Lacan Quotidien

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