BHL : L’Inconscient, ce Wechsel intimepar Marco Mauas

Lorsqu’il y a un écrivain qui partage ses pensées, ses affects, comment le lire sans l’aimer ? Est-ce possible de le lire et l’aimer ?

Je lis quelques pages du livre de BHL “La guerre sans l’aimer”. Des fils, des nouages. À la page 388-389 sa rencontre avec Netanyahu. Déception, voire tristesse. Netanyahu n’est pas prêt, n’est pas convaincu du message que BHL lui apporte du CNT de la Lybie. « …la cause palestinienne n’est pas négociable mais où il est dit, ensuite, que ce légitime attachement à une cause sœur ne devrait pas empêcher d’avoir, le moment venu, avec tous les pays démocratiques et donc, aussi avec Israël des relations normales. »(p. 394)

Je plonge dans les dernières pages du livre. « Épilogue, la mort de Kadhafi », page 627, le spectacle du lynchage, les réflexions de BHL, « Cette tête nue, étrangement et soudainement nue – je m’aperçois qu’on ne l’avait jamais vue que coquettement enturbannée et il y a la quelque chose de poignant qui rend ce criminel pitoyable. » 

« J’ai beau me dire que cet homme était un monstre. » Et suivent les images des horreurs commises par Kadhafi et le kadhafisme.

« N’empêche. Je dois être une incurable belle âme. Un adversaire irréductible de ce mal absolu  qu’est la peine de mort. »

On tourne une page, puis une autre, et on trouve ce dialogue intime qui fait obstacle à la confrontation imaginaire. La coquetterie de Kadhafi ? C’est aussi la pudeur, à la première page (p.19, ouverture). Mais cette fois une femme, des images à la télé, au Caire, «… avions descendant en piqué sur la foule des manifestants désarmés et qu’ils mitraillent. » […] « Une femme, toute pudeur bue, sa robe relevée, tourne sur elle-même, se jette à plat ventre, hésite à se relever, se relève, le corps plié. »

BHL raconte ses jours de guerre sans l’aimer, mais surtout il dialogue, c’est un style de dialogue intime (extime ?) Le mot « inconscient », à ma grande surprise, y est mentionné au moins deux fois. Ce mot est un index du dialogue, le « Wechsel » (« changement par »), comme disait Freud, en utilisant le vocabulaire ferroviaire, qui fait basculer la lecture, partagée avec le lecteur, de manière inattendue, aux symptômes. Sa présence apparaît à la page 397. BHL médite : « …n’ai-je pas, une fois n’est pas coutume, pris mes désirs pour des réalités ? […] – cette ubris que me reprochait Lanzmann  et qui, après m’avoir conduit à forcer les chancelleries, précéder les états-majors, défier les lois de la gravité politique et géopolitique aurait nourri l’illusion de forcer les inconscients ? »

Là apparaît une citation de Malraux, sur Lawrence : « il y avait, dans son effort de Sisyphe pour se lier aux Arabes, l’inquiétante part de Sisyphe en quoi s’unissent les destins tragiques »

 Mais un Wechsel s’est déjà produit à la page 29. Samedi 26 février. Ici, c’est une anecdote, du jeune Kadhafi. Un reportage. « … à celui qui est alors le jeune Guide de la Révolution libyenne. » Et le mot – « des citations entre guillemets dont une – celle-là même, à un mot près, dont je me souvenais : ‘nous n’avons pas attendu Bernard-Henri Lévy pour inventer le monothéisme.’ » L’idée du « … jeune colonel Kadhafi imprévisible lecteur à la conscience de qui j’adviens comme celui dont il ne laissera pas dire qu’il lui a appris ce que monothéisme veut dire » Cette idée « au lieu de me sembler un de ces traits d’humeur dont l’inconscient est le meilleur auteur […] elle a le don de me mettre en colère ».

C’est ce surgissement, qu’il voit comme une « alerte lointaine » qui « finit de me réquisitionner ».

Deux jours après, lundi 28 février il part pour la Libye.

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