Habemus hominem par Elisabeth Pontier

Le dernier film de Nanni Moretti, « Habemus papam » fait mouche sur le malaise dans notre civilisation : les idéaux, et la figure du père tout particulièrement, ont chutés. En effet les vocations papales ne se bousculent pas au Vatican, alors que les cardinaux sont réunis pour élire un nouveau pape. On dirait bien qu’il n’y a plus personne pour souhaiter prendre la charge de Saint Père !

Et lorsque celui que personne n’attendait, le cardinal Melville, savoureusement interprété par Piccoli, se retrouve élu par la volonté de Dieu, c’est un cri qui retentit. Le nouveau pape déchire  d’un cri le silence qui succède à l’annonce faite au balcon : « habemus papam ». Et le balcon reste vide, trou béant, devant la foule massée, interloquée.

Bientôt le psychanalyste est appelé au chevet du pape empêché et nous assistons à une improbable présentation clinique devant les cardinaux qui assistent à une conversation pas si mal improvisée par Nanni Moretti qui interprète l’analyste.

 Il s’agit d’un homme en proie à l’impuissance, il le dit : il ne peut pas.

On le conduit alors vers un deuxième analyste, mais revenir de cette position d’impuissance prendrait du temps : « trois séances par semaine, plusieurs années durant » avance notre pape nouvellement analysant. C’est bien plus de temps qu’il n’est possible de lui accorder, car le monde attend! Alors c’est la tentation de disparaître qui saisit ce pape désormais marqué du défaut : c’est la fugue. Qu’importe s’il s’invente une autre vie lorsqu’il s’adresse au deuxième analyste : n’est ce pas avec la carpe du mensonge que Lacan nous a appris que nous pouvons attraper la vérité ? Et la vérité de cet homme c’est sa passion pour le théâtre, son désir de comédien auquel il a renoncé.

Mon hypothèse est que c’est d’avoir pu renouer avec le désir « indestructible » que peut s’opérer la mutation subjective à laquelle Nanni Moretti, l’artiste metteur en scène, nous fait assister.  Rattrapé par son destin en la figure des cardinaux qui le retrouvent dans un théâtre où il a trouvé refuge et qui le ramènent au Vatican, Melville peut maintenant se présenter sur le balcon. Ce n’est plus un homme en fuite, c’est un homme qui peut dire non, car son désir n’est pas de devenir pape.

Le pouvoir de dire non n’est-t-il pas le propre de l’homme ? A-t-on jamais vu un animal s’interrompre en pleine parade et suspendre le déroulement du cycle instinctuel ? C’est ce que Nanni Moretti veut nous rappeler : il n’y a pas que le régime des biens, dont les ors du pouvoir font partie, il y a une éthique proprement humaine : celle du désir. « Avez-vous agi conformément au désir qui vous habite ? Ceci n’est pas une question facile à soutenir. Je prétends qu’elle n’a jamais était posé ailleurs avec cette pureté, et qu’elle ne peut l’être que dans le contexte analytique. »[1]


[1] Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre VII : L’éthique de la psychanalyse, p.362

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