L’Homme au nœud papillon rouge par Philippe Hellebois 

Mince, élancé, cheveux de jais relativement longs et uniformément noirs à près de soixante ans, visage halé – comme de juste pour un enfant de l’immigration italienne –, mais manifestement relifté, sourire inoxydable aux dents parfaites. Depuis son entrée dans l’arène politique belge dans les années 80, Elio Di Rupo arbore aussi un nœud papillon rouge qui lui donne une allure étrange, et à la fois inclassable. Il s’en trouve perpétuellement endimanché, et comme projeté au-delà de toute élégance possible. Si l’élégant ne sort pas du lot – il est toujours dans le ton, au diapason, à la mode qu’il suit ou crée – notre homme ne ressemble à personne d’autre qu’à lui-même. Personne, en Belgique, n’oserait plus le porter, et il faut bien dire qu’ailleurs, personne n’y songe. Le nœud papillon rouge est tellement devenu son apanage que l’on n’attend plus que celui ou celle qui changera la langue en rebaptisant ce spectaculaire appendice. On dira un di rupo comme une lavallière. Serait-ce alors un dandy ? Pas vraiment, Brummel était inventif, variable, déroutant, là où Elio reste imperturbablement ce qu’il est.  C’est à l’évidence une composition, une image de synthèse à laquelle l’intéressé ne déroge que rarement, sauf peut-être le week-end, en vacances ou dans les à-côtés de la vie politique, mais quand les choses deviennent sérieuses, le nœud papillon rouge reprend sa place, et veille au grain.

Véritable emblème, il aura accompagné sa marche vers le pouvoir pendant vingt ans puisque Elio s’apprête, sauf coup de théâtre, à devenir Premier ministre d’un pays auquel il a provisoirement ( ?) évité l’implosion. C’était, à plus d’un titre, une gageure. La crise politique rendait tout d’abord depuis deux ans – date des dernières élections législatives – la constitution d’un gouvernement fédéral impossible. Malin et tenace, il semble être parvenu – l’on ne voit pas encore très clair ! – à satisfaire à la fois les revendications flamandes et francophones. Comment a-t-il fait ? C’est une longue histoire pour une autre chronique, mais disons qu’il a habilement profité du départ de celui qui bloquait tout accord, Bart De Wever, un nationaliste flamand, grand vainqueur des élections, et qui, lui, n’a pas osé, voulu ce qu’il désirait soit la fin de la Belgique. L’autre gageure consistait à faire accepter aux Flamands – la communauté la plus nombreuse et la plus riche – qu’un francophone devienne premier ministre, ce qui n’était plus arrivé depuis près de trente ans.

À l’évidence, ce poste, Elio le désirait plus que tout depuis toujours, au moins depuis qu’il est devenu un homme public. Il a sûrement de fort bonnes raisons personnelles, mais dont personne ne sait finalement grand-chose, au-delà d’un parcours spectaculaire à la Rastignac. L’homme est pudique voire selon un de ses mentors – Philippe Moureaux, historien dix-huitiémiste et grande figure du PS –, carrément méfiant. Cela ne l’empêche évidemment pas d’être fort bien adapté à la société du spectacle, et donc prolixe de ce qu’il veut bien montrer : la culture, le design, l’art contemporain, l’architecture et l’homosexualité.

     Le pouvoir, Elio ne l’a pas que désiré, il l’a voulu, et a tout fait pour l’obtenir. Il ne ressemble en rien aux socialistes français qui, comme le notait J.-A. Miller dans Le Point  du 20 octobre, ont mis longtemps à s’avouer qu’ils préféraient le pouvoir au socialisme. Elio est belge, parce qu’italien, la question de l’existence d’autres Belges constituant un problème encore irrésolu. L’existence précède l’essence vaut en effet pour la Belgique qui, indubitablement existe, mais sans êtres pour la peupler. La Belgique existe, mais les Belges ? Les socialistes belges, quant à eux, ne s’embarrassent guère de toutes ces subtilités. Ils ne semblent guère divisés, les fantasmes marxisants ne les encombrent pas, les discours non plus, et les lapsus encore moins. Le pouvoir étant en Belgique partagé par plusieurs partis différents, ils l’occupent, avec fort peu d’interruptions, depuis les années 1920. Ce qui compte, et qui pour nos âmes romantiques peut sembler un peu bas de plafond, c’est donc d’y être, d’y rester, et d’y revenir. Déclarer en début de campagne électorale, comme le fit François Hollande il y a cinq ans, « Nous allons battre la gauche », considérer une défaite comme une victoire à l’instar de Ségolène, leur paraît tout bonnement incompréhensible. Les socialistes français semblent traverser leur fantasme, mais ensuite que deviendront-ils ? Belges ? On peut s’inquiéter ! La perspective eut, en tout cas, enchanté Baudelaire qui n’aimait guère la Belgique, mais voyait quand même en elle, et à son grand dam, l’avenir de la France !

 paru dasns le n°68 de Lacan Quotidien

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