Deux pages d’entretien avec « l’historienne renommée de la psychanalyse », sous le titre risible, voire ridicule : « Comment former des psychanalystes équilibrés ? » – voilà ce que nous offre le quotidien Libération, ce matin du 1er octobre.
Dire qu’un homme ou une femme, voire un enfant est « équilibré » relève du discours commun. Est dite « équilibrée » une personnalité où ne se décèle aucun excès, qui ne penche d’aucun côté, et ne fait pas de vagues. Que serait un « psychanalyste équilibré » ? Je n’ai jamais lu ou entendu une formulation aussi creuse, aussi inappropriée quant à la formation du psychanalyste, ni chez Freud, ni chez Lacan, ni chez aucun psychanalyste digne de ce nom.
Tout d’abord, la formation du psychanalyste n’admet pas la notion d’équilibre, mais la dépasse, en mettant au contraire l’accent sur la singularité de celui qui a fait l’épreuve de lire son inconscient. L’inconscient n’a rien à voir avec l’équilibre, il fait vaciller, il bouscule l’équilibre propre au moi, instance freudienne qui n’est pas à confondre avec l’inconscient.
Elisabeth Roudinesco, qui prétend au débat intellectuel, est loin d’établir ces distinctions ; elle n’en a pas l’idée ; il est sensible qu’elle n’est pas formée au discours analytique. C’est ce qui se note d’emblée dans son discours, qui est le plus commun qui soit, fait de généralités, de poncifs, de lieux communs.
Quand on ne sait pas nommer le réel en jeu dans la formation du psychanalyste, on invoque l’équilibre, voire l’homéostase. Ce que le moi ne peut saisir, comprendre, relèverait du déséquilibre mental, et arrivent alors les « délires interprétatifs », les « persécutés ». Dans la psychanalyse, tout le monde est fou, ou est suspect d’être fou, sauf Mme Roudinesco. C’est du moins l’opinion de Mme Roudinesco. Mais de qui d’autre ?.
« L’historienne », à la réputation si équilibrée, et qui « tombe des nues », épingle les proches de Lacan. Se drapant dans sa robe d’Antigone, trop longue pour elle, la comédienne de boulevard se sent insultée, et ne se prive pas, pour sa part, de pratiquer l’offense et l’outrage.
Le personnage joue de l’équilibre, avec toujours un pied et l’autre de chaque côté de la ligne jaune. Examinons ici quelques points de son interview :
Judith Miller « se sent offensée, mais ne défend aucun point de vue. »
Qu’on lise donc ce que celle-ci a écrit dans l’hebdomadaire Le Point.
« L’œuvre de Lacan appartient à tout le monde », après qu’elle a parlé de la distinction entre rites funéraires et sépulture, et partant de ses hypothèses sur ce que Lacan aurait souhaité.
Que je sache, l’homme, le corps de Lacan, s’il est présent dans son œuvre, n’appartenait pas à tout le monde.
« Le recours au droit est une manière de se dérober au débat intellectuel »
Il aurait peut-être fallu débattre des funérailles de Lacan ? des « hypothèses » de « l’historienne » ? Il est heureux que les êtres humains, c’est-à-dire les être parlants, puissent avoir recours au droit, quant on touche à leur dignité, à leur honneur et à leurs droits.
Quant au « débat intellectuel », Mme Roudinesco oublie-t-elle le nombre de fois où elle fut invitée à s’exprimer dans les assemblées, forums, et autres manifestations de psychanalystes, les nôtres en l’occurrence ? Mais notons-le, rien en retour, car l’historienne n’a rien d’une puissance invitante. Aucune générosité ! Elle roule pour elle, pour sa gloriole, pour ses livres si mal écrits, si mal pensés, elle infiltre les médias elle huile en permanence son système, et force est de constater que Libération en fait partie.
Je signale au passage que j’ai envoyé, il y a deux semaines, un texte à ce journal, en demandant sa publication, directement au directeur de la publication et de la rédaction, M. Nicolas Demorand. Je n’ai obtenu aucune réponse, ni téléphonique, ni écrite, pas même un refus.
De plus, les lignes introductives du texte de cet entretien donnent une fausse information, en désignant « la fille du Maître, elle-même analyste ». Si Judith Miller, qui est la fille de Lacan, œuvre bien, depuis la mort de celui-ci, pour le rayonnement de sa pensée et de son œuvre dans le monde, et ce, en tant que Présidente de la Fondation du Champ freudien, association de 1901, elle n’a cependant jamais déclaré être psychanalyste, et ne pratique nullement la psychanalyse. C’est donc de la désinformation. Quant à Libération, on peut remarquer que ce journal ne vérifie pas beaucoup ses sources.
​Judith Mille est une femme d’une grande dignité, qui sait se tenir dans la vie, et fait ce qu’elle a le droit et le devoir de faire, ce qui appelle le plus grand respect.
Les psychanalystes sont donc fous, et l’historienne nous fournit toutes sortes de motifs, d’exemples, tels que celui de Wilhelm Reich, un « fou sympathique ». Car il y aurait, on le suppose, des fous antipathiques. Et après toutes ces remarques, inutiles il faut le dire, l’historienne décrète que Lacan était « ni délirant, ni fou ». Elle ajoute toutefois « qu’il était capable d’excès ». Attention, le déséquilibre n’est pas loin !
Enfin, elle en vient à son histoire à elle ! L’appel à l’auréole de la Résistance, le baptême catholique, pour aboutir à l’esthétique, soit à ce qu’elle a « bien compris chez Lacan. » Et de faire le procès de ceux qui n’ont pas compris Lacan aussi bien qu’elle – tout cela pour finir par la plus grande confusion entre le signe et le signifiant.
Il est maintenant de notoriété publique que cette « historienne » n’a pas compris grand-chose à ce qu’a enseigné Lacan. En revanche, elle s’identifie à lui. Elle s’identifie déjà en tant qu’ « insultée » à Sartre et Simone de Beauvoir, à Foucault, à Derrida. « Je suis l’héritière d’une belle dynastie », profère-t-elle sans façon. Il manquait Lacan…
C’est là l’interprétation – car il en faut – que je fais de ce que j’ai lu dans cet article.

Article paru le 1er octobre 2011 dans le Lacan Quotidien n•46

Tagged with:
 

Comments are closed.