~DEBAT DES AUTISTES ~~

kristell jeannot

avec jean-claude maleval et judith miller

Les « Bonnes pratiques » et la « joie de notre travail », par Jean-Pierre Rouillon

 

Comme l’a très bien indiqué Kristell Jeannot dans son texte sur les nouvelles recommandations de l’ANESM et de la HAS, l’autisme est de nouveau au cœur des changements qui vont affecter aussi bien le champ sanitaire que le champ médico-social. On peut remarquer la prudence qui caractérise cette nouvelle démarche, on ne fait pas seulement appel aux experts de l’ANESM et de la HAS, pour délibérer sur les bonnes pratiques à mettre en œuvre dans l’accompagnement des autistes, mais aux associations qui en assurent la prise en charge. C’est le signe que l’expertise ne suffit pas, mais qu’on doit faire appel au nombre et à l’opinion.

La psychanalyse n’est plus critiquée avec autant de férocité et de parti-pris, ce qui est l’indice du fait que notre action a porté. Bien sûr, les méthodes proposées se confondent avec celle des thérapies comportementales, mais peut-on en être surpris dès lors que l’évaluation du fait de son lien absolu avec le quantitatif, de son ancrage dans le discours capitaliste et de son lien avec le discours de la science ne peut que consonner avec le comportementalisme.

Un premier recueil de recommandations de l’ANESM sur l’accompagnement des personnes avec autisme est paru en 2009. D’une grande prudence, ménageant toutes les parties concernées, il restait d’une application délicate. Pourquoi alors revenir à la charge ? Peut-être pour satisfaire les exigences des associations de parents d’autistes promouvant les méthodes comportementales. Mais, il me semble qu’il s’agit surtout de répondre au mouvement d’accélération des procédures d’évaluation suite à la création des Agences Régionales de Santé et la réorganisation du secteur médico-social qui doit en découler. L’évaluation externe est essentielle dans ce processus car elle permettra aux autorités de tutelle de renouveler ou non les autorisations et surtout de fixer les budgets des établissements.

Or, il s’agit d’une situation assez complexe car les cabinets accrédités pour réaliser ces évaluations ne présentent pas toutes les garanties nécessaires. Il y a donc un mouvement pour obtenir de l’ANESM et de la HAS des grilles de lecture rapide et précise, applicables dans toutes les institutions.

Enfin, il s’agit de faire passer massivement les sujets autistes du sanitaire au médico-social, dans des structures souples, légères, alors que le sujet serait surtout accueilli en milieu ordinaire et dans sa famille. C’est sur ce point que l’idéologie défendu par les associations de parents, les comportementalistes et celle des autorités de tutelle, convergent.

Quelle peut être notre position dans ce vaste mouvement de réorganisation et de désinstitutionalisation massive ?

Nous pouvons, bien sûr, dire notre désaccord et notre refus face à ce catalogue de « bonnes pratiques ». Nous serons entendu, un paragraphe en rendra compte dans le document des recommandations, mais notre voix n’étant pas prédominante, elle ne comptera pas.

Devons-nous pour autant céder et appliquer ces « bonnes pratiques » ? Contre toute attente, en ce qui concerne Nonette, ce qui nous permet de continuer à être présents, de continuer à exister au milieu de tout cette tempête, c’est le fait que nous nous en tenons strictement à notre pratique, orientée par le discours analytique avec les enfants et les adultes autistes. Le médecin inspecteur de l’ARS qui nous a visité en décembre a écrit un rapport dithyrambique sur le Centre après avoir assisté à une conversation entre Jean-Robert Rabanel et des sujets autistes.

C’est à partir du témoignage que nous donnons de notre travail avec ces sujets que leur accueil reste possible dans une référence au discours analytique. C’est aussi à partir du travail d’élaboration clinique avec les éducateurs et les équipes. C’est aussi à partir du dialogue avec les familles et avec les autorités de tutelle. C’est enfin le travail politique de l’Association pour donner une portée politique à notre action. Il ne s’agit pas d’une logique de l’Universel, mais d’une logique du Un par Un.

Ce qui compte pour nous, c’est la prise en considération de l’autisme, des autismes, comme une position subjective, comme une position singulière.

Cet acte, nous pouvons le faire grâce au dernier enseignement de Lacan. En nous permettant de sortir d’un traitement par l’Autre, il nous a orienté vers un traitement de l’Un et plus particulièrement de l’Un tout seul. C’est ce dernier enseignement que Jacques-Alain Miller nous a permis de saisir et de mettre en œuvre.

Il ne s’agit plus dès lors de produire un savoir sur l’étiologie de l’autisme, sur sa cause, d’en faire une clinique ne se fondant que sur la pathologie, mais plutôt de témoigner de la façon dont chacun élabore au fil d’un temps qui se met à exister, les inventions qu’il met en œuvre pour se construire un monde où la satisfaction a droit de cité.

Ce dialogue inouï n’aurait pu avoir lieu sans le désir décidé de Jacques-Alain Miller de prendre acte de la position subjective de l’autiste, de sa position de parlêtre plus exactement. C’est ce ravinement que Jean-Robert Rabanel a repris à Nonette, nous ouvrant ainsi la voie d’une clinique de l’autisme se fondant sur la jouissance.

Au moment où la bataille fait de nouveau rage autour de l’autisme, c’est ce sillon que nous devons suivre, sans céder sur la singularité des sujets que nous accueillons. C’est dans la joie que nous éprouvons à dialoguer avec ces sujets qui se confrontent au réel de la langue, que nous pouvons trouver la force de répondre aux attaques de nos adversaires, que nous pouvons poursuivre avec détermination de leur faire l’offre d’un dialogue qui se fonde sur le fait qu’ils sont avant tout des parlêtres.

Au moment du trentième anniversaire de la mort de Lacan, c’est une façon de rendre vivante une parole qui ne cesse de résonner en nous, de nous interpeller et de nous indiquer la voie à suivre. C’est mettre en œuvre et en acte, cette parole vivante qu’eux-mêmes peuvent reprendre en nous parlant de Lacan et de Jacques-Alain Miller comme de vieilles connaissances.

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