“Pourquoi Lacan” (sans point d’interrogation) : ce titre du dernier Diable est inspiré d’un titre de Claude Lanzmann – je l’ai dit de la tribune du Pullmann Montparnasse mardi soir.

Lanzmann a l’art des titres percutants, mais il y a autre chose. Cette chose, je l’ai dite, mais en aparté cette fois, à Philippe Sollers, en descendant de la tribune. En nommant ce numéro 9, je m’inspirais de son film Pourquoi Israël. J’ai compris au Pullman ce qui avait irrésistiblement orienté mon choix quand je me suis résolue à lancer le Diable sur les traces de Lacan, il y a des mois : l’effacement des noms a une histoire. Elle me connaît bien, si je puis dire.

Cela dit, et sachant cela – mais le refoulant aussitôt pour mieux le retrouver mardi dernier – je ne pouvais prévoir la forme que l’effacement de Lacan prendrait trente après sa mort : celui d’un autre nom, un nom auquel ceux qui lisent Lacan l’associe, celui de Miller dont Lacan avait fait légalement, et par contrat, le co-auteur des Séminaires. Ainsi, je fus moi aussi surprise quand les hostilités commencèrent en cette rentrée. Passée la surprise toutefois, il y a là une logique qui se dessine, implacable.

Miller – Jacques-Alain de son prénom – se tient proche du réel dont Lacan s’était employé à faire le tour. Il est fidèle à l’esprit qui souffle dans son enseignement, qu’il commente et éclaire depuis longtemps. De son vivant, Lacan avait l’idée que Jacques-Alain Miller comprenait de quoi il était pour lui question. Et sans doute était-il le mieux placé pour en juger. Mais là n’est pas l’essentiel. L’essentiel, qui se révèle et éclate aujourd’hui au grand jour, réside en ceci, que tous ceux qui s’intéressent à Lacan connaissent le rôle de Jacques-Alain Miller dans la transmission de son enseignement. Tous, sans exception. Ceux qui suivent son enseignement et le lisent dans le monde entier le savent, cela va de soi. Mais ceux qui ne veulent rien savoir de l’agalma de Miller, le traînent dans la boue, et le traitent comme une m… (on retrouve là les deux versants de l’objet a) en attestent aussi, en l’effaçant précisément. Ils l’effacent avec d’autant plus d’acharnement qu’ils savent cela.

Une question cependant me taraude. Pourquoi ceux qui ont décidé d’effacer Lacan – et en cette rentrée, le nom de Miller avec lequel ils le confondent – font-ils profession de lire Lacan, ou du moins de le faire croire, et peut-être d’abord de se le faire croire ? Pourquoi passer son temps à fréquenter Lacan si c’est pour le lisser, le laver, le ripoliner ? Pourquoi Lacan, et pas un penseur plus plan-plan ? Les philosophes de comptoir ne manquent pourtant, ni dans l’histoire, ni en ce bas monde. Pourquoi s’intéresser à Lacan qui incarne le paradigme de l’originalité, si c’est finalement pour en faire un original comme un autre ? À cette question qui se décline, je ne vois qu’une réponse. Elle me vient d’une analogie que je fais entre les spécialistes de Lacan qui ignorent décidément Lacan, pour mieux faire disparaître le réel qu’il approche, et ces philosophes que Pascal épinglait comme consumant leurs jours dans la philosophie dans le but précis de ne pas penser.

Un conseil à ceux qui sont toujours en avance sur leurs propres excréments (j’emprunte cette expression à Chamfort), un conseil aux amateurs de m… qui haïssent M. : employez-vous à chasser le réel, acharnez-vous y, vous verrez, il résiste – c’est de structure. Cette leçon, je la tiens de Lacan himself.

 

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