Voilà, nous savons depuis ce matin que les trois coups de la « Rentrée lacanienne » ont maintenant sonné. Que la fête commence !

Il y eût d’abord Lacan Quotidien, avec le retour de celui qui avait été refoulé des magazines culturels et des émissions de la dite rentrée. Celui dont le travail était pillé et le nom gommé reprenait la parole, et comment!

Il y eût ensuite la soirée de lundi, où le Rendez vous avec Lacan de Gérard Miller présentait à un très grand public le type étonnant qu’était Lacan, s’affrontant calmement aux stéréotypes diffamatoires sur sa personne et sa pratique.

Mardi soir, il y eût une soirée moins calme, où, devant les 400 personnes réunies à Montparnasse, et aux côtés d’un grand écrivain incarnant littérature-lituraterre, qui avait dit en termes inoubliables son attachement à la personne et à la parole de Lacan, nommément Sollers, Jacques-Alain Miller fit état de sa correspondance avec la direction du Seuil, des « mauvaises manières » dont il avait été l’objet à répétition, et enfin de sa décision, le matin même, de rompre avec cette maison d’édition où Lacan avait publié ses Ecrits en 1966.. Il raconta les ultimes rebondissements de l’après-midi, sa rencontre avec Hervé de La Martinière, son choix de ce groupe pour y concevoir et y  développer une nouvelle politique éditoriale lacanienne..

Enfin, hier, Le Point : Judith Miller sort de sa réserve et « déclare la guerre » à Elisabeth Roudinesco en raison de l’intolérable final de son opuscule sur Lacan, l’accusant d’avoir trahi les dernières volontés de son père. « L’historienne » – rions – va bientôt se retrouver historisée, comme l’arroseur peut être parfois arrosé.

Nous voici à un carrefour de l’histoire de la psychanalyse en France.

Pas de fin de l’histoire pour les lacaniens. De nouvelles séparations, déclarations, éclaircissements, développements sont en vue, avant de se retrouver dans une unité de niveau supérieur. Pas question d’une extinction par vaste consensus, telle que certains avaient pu rêver la soirée organisée à l’Ecole Normale Supérieure vendredi soir. J’y lirai le texte du séminaire sur Hamlet, que m’a assigné Catherine Clément, mais ce sera dans un contexte où un chat nommera un chat, et non la nuit où tous les chats sont gris.

L’histoire de la psychanalyse Lacanienne en France n’est pas l’histoire de générations incréées qui se succèderaient en sages cohortes. C’est l’histoire d’une béance irréductible, la lacune de Lacan, empêchant l’histoire de tourner en rond, faisant entendre que « la vie est une histoire pleine de bruit et de fureur, racontée par un idiot, et qui ne signifie rien ». Macbeth est une bonne voie pour le sentiment joycien de Lacan devant l’histoire, « cauchemar dont on se réveille pas », parodie de l’éternité.

Cette réouverture de la béance dans l’histoire est une belle façon de marquer l’anniversaire de la mort de Lacan. Cette mort s’est produite l’année suivant la dissolution par lui de son Ecole, l’Ecole freudienne de Paris (EFP). Cet acte même marquait son refus obstiné de laisser perdurer l’institution comme mensonge, au delà du malentendu qui l’avait porté à son impasse finale. C’est le contraire du « Je meurs, et la patrie ne meurt pas ». Ce n’est pas, comme certains le lui reprochaient, le « Après moi le déluge ». Il a tenu à ce qu’elle soit remplacée par une Ecole dont les statuts avaient été pensés selon ses indications et les leçons de la dissolution.

Le contexte de la mort de Lacan est aussi celui de la fondation de l’Ecole de la Cause freudienne (ECF), qu’il a adoptée avant de mourir.

Pour en arriver au nouveau départ de l’ECF il a fallu des scansions multiples. Au départ, c’était simple, il y avait les pour et les contre l’acte de dissolution de Lacan. Chez les contre, on trouvait Mme Aubry, avec Françoise Dolto. Puis, très vite, on arrive au brouillard de la guerre, une succession ininterrompue de lettres, où il était difficile de retrouver dans les positions bigarrées et les singularités de chacun, la belle simplicité du départ. Il ne fallait pas perdre le fil, entre ceux dont l’esprit de conciliation affiché cachait mal leur opposition profonde au processus en cours, et ceux qui s’affichaient au départ comme leaders du mouvement pro-dissolution, pour trahir ensuite brutalement, avec une jouissance d’une rare obscénité.

Lacan, lui, s’orientait parfaitement, rejoignant le groupe soutenant la dissolution, réuni chez lui ce soir de décembre 1980, juste après la trahison de M*. Après nous avoir entendu, il conclut : « Tout cela est une belle saloperie ». C’est toute cette saloperie qui a été le terreau de la transformation des listes de ceux qui s’étaient déclarés pour lui, « les Mille » appelés ainsi pour leur nombre et le souvenir garibaldien,  en une Ecole de 300 membres, à l’issue d‘un processus cheminant dans une atmosphère étrange. Les plus belles fleurs poussent sur le fumier. C’était un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître, où un ami de longtemps, pouvait, du jour au lendemain, sans vous dire un mot, vous tourner le dos, et se retrouver sur une liste de personnes vous injuriant avec ferveur. Ou bien, à l’inverse, vous receviez des appels vous demandant d’un ton patelin si vous alliez bien. On craignait le suicide, étant donné la pression formidable qui s’exerçait. Etc.

Quoi qu’il en soit, l’adoption de l’ECF par Lacan, à l’issue de son dernier Séminaire, et après le voyage à Caracas en 1980, a été entendu comme un appel vers l’avenir. Il a retenti « au-delà de la dissolution de l’École qu’il avait fondée – retenti par-delà sa mort, survenue le 9 septembre 1981 – retenti loin de Paris, où il vécut et travailla ». Ainsi s’exprimait, le 1er février 1992, le texte du Pacte de Paris, rédigé au moment où l’École de la Cause freudienne, l’Escuela del Campo freudiano de Caracas, l’École européenne de Psychanalyse du Champ freudien, et l’Escuela de la Orientación lacaniana del Campo freudiano, décidaient de converger dans l’Association mondiale de Psychanalyse qui venait d’être fondée par Jacques-Alain Miller. Depuis cette époque, les Ecoles se sont transformées, d’autres ont été créées, l’ECF été reconnue d’utilité publique par décret du 5 mai 2006, et l’AMP a obtenu le statut de « consultant spécial » de la part de la branche ONG des Nations Unies, le 31 juillet 2011.

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Pour préciser l’orientation commune conservée à travers les différentes Ecoles, l’Association mondiale de Psychanalyse a adopté en juillet 2000 la Déclaration de l’Ecole Une.

Elle souligne que l’École issue de la dissolution n’est pas un rassemblement de professionnels partageant un savoir commun. Elle est formée de membres qui s’accordent sur la reconnaissance d’un non-savoir irréductible, qui est l’inconscient même. Ils y trouvent le ressort de « poursuivre un travail d’élaboration orienté par le désir d’une invention de savoir et de sa transmission intégrale, ce que Lacan devait appeler plus tard le mathème. Sur ce fondement d’abîme, le couvrant de son nom propre, il établissait son École et appelait à la  « reconquête du Champ freudien ».

Cette reconquête prend un sens nouveau dans le contexte de la « Rentrée lacanienne ».

Quelque chose de la « Vie de Lacan » doit être reconquis sur les stéréotypes, la désinformation, la franche diffamation, et l’universitarisation pacifiante sous le couvert de l’équilibre à préserver entre laudateurs et critiques. Nous saurons mieux quel courant de l’idéologie française, et pourquoi, a tellement tenu à faire de Lacan un Catholique Maurrassien, et non pas Sollersien. Ou pourquoi on a fait de lui un portrait en monarque absolu.

C’est à partir de l’événement de rupture que nous vivons en ce moment, que l’on pourra lire la structure des élucubrations qui ont fait l’étoffe de ce qui passait jusque-là pour une biographie de Lacan, et qui su parfois séduire des esprits distingués.

Nous voilà au bivium de deux logiques, deux sensibilités, deux voies éthiques.

Chacun pourra choisir.

Paris, ce 9 septembre 2011

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