Jacques- Alain Miller l’a fait savoir, l’établissement du Séminaire de Lacan est pratiquement terminé. La publication des derniers volumes dépend désormais de l’éditeur. Il est troublant que ce soit à ce moment précis que JAM soit effacé : son nom et son œuvre tenus pour rien, rien d’important, rien qui compte. Voilà le message qui court lors de cette rentrée annoncée comme lacanienne. De Lacan, il est peu ou pas question et de JAM, rien !
Par quel tour de passe-passe, des psychanalystes – tous lacaniens bien sûr – ont-ils émoussé le tranchant de l’enseignement de Lacan au point que sa subversion se transforme en une sorte de lamento à plusieurs voix : celui-ci dénonce la vacuité d’une œuvre réduite à quelques mots d’esprit à l’arrière-goût de salle de garde, celui-là évite soigneusement les concepts – le réel les rend incandescents – et préfère faire les poubelles du grand homme pour faire croire à des sornettes qui tiendraient lieu d’histoire, d’autres encore, et non des moindres, déplorent que Lacan n’est pas été un papa qui les protégeraient d’eux-mêmes, etc. Prendre la mesure de sa jouissance dans ce dont on se plaint, n’est-ce pas le premier pas attendu d’un psychanalyste ?
Alors, et JAM, n’aurait-il pas quelques tort dans cette affaire ? Eh bien son premier tort, c’est de n’avoir jamais consenti à faire ses dévotions à ce Lacan de pacotille. Depuis plus de trente cinq ans que je vais à son Cours, j’ai pu le constater, il s’affronte sans relâche au réel de ce discours inouï tel que Lacan a tenté de le mettre en forme. Evidemment, s’il avait consenti, lui aussi, à laisser tomber les difficultés, et à brocarder Lacan et son enseignement nul doute qu’il aurait été encensé à cette rentrée et sollicité comme quelques autres. Il a préféré faire la sourde oreille aux sornettes et continuer à extraire les joyaux de l’enseignement de Lacan qui le font vivant et encore en avance sur nous aujourd’hui.
Parlons-en de ce Cours. Le sort qui lui est réservé est-il le bon ? Chacun le sait, il est diffusé aux quatre coins de la planète. Et, grâce à internet, il est lu sur les quatre continents en même temps. Ses lecteurs sont légions et depuis des décennies. Mais, voilà, il y a ceux qui le disent et s’y réfèrent, et ceux qui le lisent sous le manteau, s’en nourrissent et se l’approprie sans en payer le prix. On sait la conséquence, la même que pour Lacan et Freud : les boutiquiers finissent par pulluler sur la scène publique pendant que les laborieux s’enferment dans leur bulle pour travailler. JAM appartient à cette dernière catégorie. Lorsqu’il est travailleur, il est plutôt absent de la scène publique. Il joue le Discreto. Mais l’urgence, qui commande de pourfendre l’adversaire, le transforme illico. Il devient alors la pipelette pressée de passer par le fil de sa plume acérée les imposteurs et les bonimenteurs. Ses travaux d’Hercule qui le condamnent au silence public en font la proie facile d’une meute de railleurs. Le péril imminent rend la parole publique au persiffleur qui se gausse en nous amusant si bien que l’ennemi tout transi en reste anéanti, au moins jusqu’à la prochaine fois. Ainsi en va-t-il de la pipelette et du discreto, tous deux au service de la Cause.
Des moments difficiles, il y en a eu plus d’un. Chaque fois, il a fallu inventer des solutions qui gardent le cap sur le réel. C’est la leçon que je retiens de la politique de JAM. Il a construit l’internationale lacanienne pour mettre à l’abri l’enseignement de Lacan ; il a établi l’ensemble des Séminaires pour les sortir de la gangue du silence où les faisait sombrer la politique des morceaux choisis des adeptes du Reader’s Digest ; il a formé des générations de psychanalystes venus de tous les continents et grâce auxquels les lacaniens sont les plus nombreux dans le monde aujourd’hui. Il a aussi fait son Cours. Le moment n’est-il pas venu de rendre à César ce qui lui appartient ? N’est-il pas temps désormais de le rendre aussi public et pas seulement en espagnol ? C’est ce Cours qui garde vivante la psychanalyse d’Orientation lacanienne. Les évènements de cette rentrée me font penser qu’il faut réinventer une politique éditoriale en générale – LQ donne le ton – et qu’il n’est plus temps de différer la publication du Cours en particulier. Trente cinq volumes qui mobilisent le savoir universel et interprètent l’époque risquent de rendre difficile, au moins un temps, de nier l’homme et balayer l’œuvre d’un revers de main.
Ne nous y trompons pas, le coup porté à Jacques-Alain Miller est un coup porté à la psychanalyse. Établir ce Cours présente bien sûr de nombreux problèmes à résoudre, mais c’est démontrer en acte la vitalité d’une parole qui ne s’est jamais démentie plus de trente cinq années. N’est-ce pas le pari de cette parole rendue publique qu’il faut tenter si l’on se refuse à se prosterner devant la fatalité qui n’est jamais qu’un des noms du pire ?
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