MONIQUE AMIRAULT. Échos radiophoniques. Alors que Jacques-Alain Miller, ce samedi 10 septembre, initiait, à Bordeaux et à notre grande joie, un tour de France des librairies, à la même heure, la Mostra de Venise était à l’honneur de l’émission « Projection privée » de Michel Ciment, émission qui se terminait par un interview de notre collègue Jeanne Joucla invitée à venir parler du livre qu’elle a édité et dont elle a coordonné la réalisation à partir des interventions du colloque tenu à Venise les 2 et 3 février 2006, dans le cadre de la SLP, Lacan regarde le cinéma, le cinéma regarde Lacan. Qu’un ouvrage publié par l’ECF dans sa collection rue Huysmans donne lieu à une invitation à France Culture n’est pas si fréquent, et l’Ecole peut en être honorée.
D’entrée de jeu Michel Ciment, homme cultivé, cita Freud puis Lacan en ce qui concerne ce passage connu, mais sans doute moins du grand public, selon lequel « l’artiste précède le psychanalyste ». L’invitée put soutenir qu’il s’agissait là d’ « une borne de méthode » pour les psychanalystes et poursuivit en situant l’ouvrage dont le titre croisé « Lacan regarde le cinéma. Le cinéma regarde Lacan » indique à quel point il s’agit là de textes qui dialoguent à travers leurs auteurs, psychanalystes, critiques de cinéma, réalisateurs… et qui mettent au premier plan le « savoir de l’artiste ».
Les questions de Michel Ciment se firent ensuite plus précises et critiques, insistant sur le caractère sommaire des analyses filmiques de Lacan, en soulignant une phrase obscure, provoquant son interlocutrice sur l’analyse un peu courte selon lui d’Hiroshima mon amour, ou encore sur le soi-disant désintérêt de Lacan pour le cinéma d’avant-garde. Jeanne sut faire valoir que Lacan n’était pas critique de cinéma, mais psychanalyste et en quoi son objectif n’était pas d’appliquer la psychanalyse au cinéma, d’analyser des films mais de s’appuyer sur eux pour éclairer des moments de son enseignement, ses trouvailles en cours, en se servant des trouvailles de l’artiste. C’est ainsi qu’elle évoqua cet extrait de La Dolce vita, lorsque, vers la fin du film, Fellini montre le viveur, incarné par Marcello Mastroianni, « regardé » par la chose monstrueuse sur la plage, ce qui pour Lacan s’articule à son élaboration de l’angoisse dans sa proximité avec l’objet.
Bref, exercice périlleux mais réussi que cet interview de dix minutes, où Jeanne Joucla sut élégamment faire un pas de côté quand nécessaire, afin de ramener le propos à l’essentiel, à la pensée de Lacan, puisant dans la « spire de l’époque », le cinéma en l’occurrence, pour nous transmettre cette pensée. « Passionnant ouvrage », conclura Michel Ciment.
ÉRIC HOUSER. J’ai lu ce matin à l’aube l’article d’Aurélie Pfauwadel Roudinesco, le nom du malaise
auquel je souscris (d’enthousiasme) [mais un enthousiasme teinté de rage]. Quelle stratégie adopter face à ce phénomène? Je vais chercher dans l’Oraculo s’il n’y aurait pas quelque conseil avisé à suivre, de Gracian. Trouverai-je quelque chose dans la maxime 8 (ne se passionner jamais) ? Dans la 26 (trouver le faible de chacun) ? Dans la 33 (savoir se soustraire) ? Dans la 44 (sympathiser avec les grands hommes) ? Dans la 47 (éviter les engagements) ? Dans la 79 (être jovial) ? Dans la 121, palindromique (ne point faire une affaire de ce qui n’en est pas une) ? Dans la 159 (savoir souffrir les sot(te)s) ? Dans la 164 (tirer quelques coups en l’air) ? Dans la 197 (ne s’embarrasser jamais avec les sot(te)s) ? Dans la 253 (ne se rendre pas trop intelligible) ?…
Il y a partout un(e) Vulgaire A Corinthe même, et dans la famille la plus accomplie ; et chacun l’expérimente dans sa propre maison. Il y a non seulement un Vulgaire, mais encore un double Vulgaire, qui est le pire. Celui-ci a les mêmes propriétés que le commun Vulgaire, de même que les pièces d’un miroir cassé ont toutes la même transparence ; mais il est bien plus dangereux. Il parle en fou, et censure en impertinent. C’est le grand disciple de l’ignorance, le parrain (la marraine) de la sottise, et le proche parent de la charlatanerie. Il ne faut pas s’arrêter à ce qu’il dit, encore moins à ce qu’il pense. Il importe de le connaître, pour pouvoir s’en délivrer si bien, que l’on n’en soit ni le compagnon, ni l’objet ; car toute sottise tient de la nature du Vulgaire, et le Vulgaire n’est composé que de sots.
(Baltasar Gracian, L’Homme de cour, MAXIME CCVI – éditions Gallimard / Folio classique)

 

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