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Pascal Torres, conservateur au Musée du Louvre, membre de la Real Academia de Bellas Artes de San Luis (Saragosse, Espagne) a bien voulu répondre aux quatre questions que lui a posée Nathalie Georges-Lambrichs pour Lacan Quotidien.

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« Il faut porter jusqu’à la fin toutes les idées qu’on soulève » Paludes.

Elégant, sobre de forme et prodigue de détails, dense et limpide, tel est Lacan lecteur de Gide. Impossible de ne pas penser que Philippe Hellebois, son auteur, avait une affaire sérieuse avec l’un et l’autre, Gide ou « l’homme couvert de livres » et Lacan, qui a consacré à ce dernier un écrit en surplomb, puisque appliqué à l’essai de psychobiographie qui devait former ce complément de son œuvre que Gide appelait de ses vœux et qu’il sut faire cristalliser : « Il ne m’est pas arrivé souvent de renoncer : un délai, c’est tout ce qu’obtient de moi la traverse1 ». Et voilà que s’offrait, au présent, un Delay chargé d’avenir. De là à prendre le désir à la lettre, le pas était franchi.

            Gide, Delay, Lacan, et Jacques-Alain Miller qui a préfacé l’ouvrage – mais aussi livré son commentaire du Gide de Lacan dans La Cause freudienne n°25 – forment donc le quatuor auquel Philippe Hellebois ajoute sa lecture, gageure réussie, car loin de répéter ou d’obturer l’accès à ces lectures, il y invite, à nouveaux frais, par sa construction en étoile dont chacune des cinq branches forme un Holzweg, comme par ses excursus, détails grossis qui, assumés comme le goût personnel de l’auteur, n’en ravivent que mieux, avec cette mesure nouvelle, la structure de l’œuvre.

            Magnifique, l’incipit équivoque : « nun bin ich endlich geborgen » emprunté aux Elégies romaines. Gide ne croyait pas si bien dire, faufilant le G caché (de Goethe comme de Gide) dans le geboren, pour renaître de son écriture, et s’il se dit marri, sur l’instant de son lapsus, d’avoir fait un « gros contresens », il finit, un demi-siècle plus tard, par affirmer que Goethe, sans doute, ne l’eût point désavoué.

Epuiser son image même

            Puiser,  épuiser. Il puise depuis toujours dans les livres sa manne, il se soumet aux influences qui le révèlent à lui-même en tant qu’il se veut pas tant singulier que porteur d’une vérité à faire connaître au plus grand nombre (p. 87) et, en même temps, il se voue à épuiser, et l’image qui l’étaye (cf p.89), et la volupté qui le subjugue. Ainsi Lacan fera de Gide le fléau partageant le désir et la jouissance (p.92).

            Je ne déflorerai pas cette lecture, profitable en tous ses détours, mais je ferai, en mouche de ce coche, une station supplémentaire à la note 2 des pages 471-72 des Ecrits où se condense le style caractéristique de la méthode de Lacan. Je le cite : « “Dic cur hic (l’autre Ecole”, épigraphe d’un Traité de la contingence, paru en 1895 (Paris, Librairie de l’Art indépendant, 11, rue de la Chaussée-d’Antin), où la dialectique de cet exemple [le nombre deux se réjouit d’être impair] est discutée (p. 41). Œuvre d’un jeune homme nommé André Gide dont on ne peut que regretter qu’il se soit détourné des problèmes logiques pour lesquels cet essai le montrait si doué. »

            De fait, mais ce fait n’est pas si aisé à situer, la première édition de Paludes (achevé d’imprimer : 5 mai 1895) comportait en faux titre « Traité de la contingence ». Or il advint que dans l’édition de 1899, Gide retrancha le faux-titre, et y substitua le sous-titre « Traité du vain désir ».

         Le faux-titre : placée en début d’ouvrage, cette page rappelle uniquement le titre et l’éventuel sous-titre de l’ouvrage. La fonction du faux titre est de donner du souffle et de l’espace au livre par le ménagement de blancs.

            Quand il désigne délibérément Paludes, qui s’est donc appelé Paludes dès sa première édition, par son sous-titre cité en faux-titre « Traité de la contingence », Lacan entend bien nous indiquer l’importance de cet effacement – notons qu’il ne prend même pas la peine de citer le nouveau sous-titre venu à la place du premier. Plutôt indique-t-il ici le lieu d’un carrefour, premier vide auquel succédera celui, traumatique, creusé par l’abolition qui résultera de la destruction de sa correspondance amoureuse avec Madeleine.

 

La contingence restreinte saisie par Lacan

            Lacan a en effet cerné dans la vie d’André Gide le moment où la contingence fit passer ce dernier du statut d’enfant disgracié, livré au sadisme informe de son autoérotisme primaire, à celui d’enfant désiré (Le Séminaire, livre V, Les formations de l’inconscient, p. 258 et sq). Or cet événement, qui fut certes, d’une part, « salvation », ne put être, d’autre part – pour avoir eu lieu « sans médiation » – que marqué du trauma. Sa s doute l’opération qui eut lieu fit-elle qu’en ce point, là où il y avait eu un trou, une place se définissait : la contingence avait eu lieu. Elle produirait, pourtant, un refus, car l’enfant désiré (séduit par sa tante), Gide ne pourrait, lui, l’être. Il ne l’aurait été, qu’une fois, à son insu.

            Gide se ferait donc, sans le savoir, non pas le sujet des hasards de la rencontre, mais l’objet de la répétition de l’événement déplacé. Parallèlement il choisirait de faire de la multitude des possibles la substance de son travail d’écriture, prolifération insatiable et contrepoint nécessaire d’une jouissance qui, sans cette discipline, n’eût été que pure et rapide consomption.

            N’était la mémoire incise de Lacan, cette contingence n’aurait été que mensonge d’écriture inaperçu, lettre précipitée – passée à l’as – dans le gouffre de l’oubli, tandis que dans ce moment d’effacement d’une trace, ce qui se modelait logiquement, pour et par celui qui s’évertuerait à devenir André Gide, était une matrice : celle de l’imitation de soi-même, un soi-même toujours inaccessible, d’avoir été insaisissable dans le présent de l’événement contingent, voué à se fixer et à demeurer Un, irrattrapable.

            Le miroir n’y aura donc pas été traversé, et le style de l’écrivain n’aura plus cessé de manquer de s’y ficher – il l’eût alors fracassé –, pour s’y réfracter, à l’infini. Au fil de la plume, l’écriture aura couru après la temporalité de l’acte qu’elle n’aura atteint qu’en se bouclant sur l’œuvre, interrompue par la mort, enfin et proprement inachevée.

Nathalie Georges-Lambrichs

 

1 Cité par Delay, II, 479, de Si le grain ne meurt, p. 357, à rapprocher du « Tant pis j’agirai autrement ». (Delay, II, 18), écrit dans son carnet de notes à la date du 1er janvier 1891 sous le coup du refus majeur qu’il essuyait de Madeleine.

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Il était une foi dans la littérature… par Nathalie Georges

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Décrire, dit-il par Nathalie Georges-Lambrichs

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Le train de l’écriturepar Nathalie Georges-Lambrichs

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Des Souris et des ParlÊtres par Nathalie Georges-Lambrichs

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Michel Onfray va réécrire l’histoire de la psychanalyse, puisque dans son retour à un Freud adapté, il rencontre sur son chemin l’obstacle Jacques Lacan. C’est alors l’histoire de la psychanalyse revue par Onfray. Exit l’excommunication de Jacques Lacan par l’IPA. A l’inverse, Lacan devient l’âme de ce que Michel Onfray appelle la Contre-réforme européenne de la psychanalyse qui se lèverait en réaction à la subversion américaine libertaire et laïque.
Onfray nous avait promis de faire un sort à Lacan après avoir réglé celui de Freud. France Culture cet été, lui a donné les moyens de son ambition.
La méthode est simple: pourquoi s’embarrasser d’une lecture de l’œuvre de Lacan puisque tous ses contemporains (et Michel Onfray cite les plus prestigieux, mais toujours hors contexte) l’ont déclaré incompréhensible. Exit également l’œuvre de Lacan. Il reste donc l’auteur dépouillé de son œuvre, c’est-à-dire forcément le personnage que Michel Onfray prend un plaisir si évident à caricaturer qu’il doit interrompre le fil même de sa conférence pour nous signaler gêné, que ce n’est pas lui qui parle, mais qu’il rapporte simplement ce qu’il a lu dans la biographie d’Elisabeth Roudinesco.
La méthode Onfray s’avoue là. Il n’y pas de sujet de l’énonciation, ou plutôt, une multitude qui sont sans cesse cités comme les véritables auteurs de son propre dire: Adorno, Fromm, Max Horkheimer, Reich, Roudinesco etc. Ils viennent recouvrir celui qui parle et qui ne s’autorise à parler qu’en leurs noms.
Michel Onfray parle donc au nom de l’Autre: une parole qui se dévide au fil des conférences et qui dit sans cesse: « Je ne parle pas ». Cette parole sans énonciation a un nom: c’est la rumeur, celle qui diffame et dont on dit qu’il en restera toujours quelque chose, malgré l’évidence de sa fausseté.

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L’avenir prothétique des philosophes gastronomes

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