Marine Le Pen l’a annoncé, Florian Philippot l’a redit, la presse le répète : le FN va subir une « profonde transformation ». Dans son discours de défaite, Marine Le Pen en indiquait la teneur lorsqu’elle faisait valoir le lancement d’un vaste rassemblement « patriote » et « républicain ».

Dans ce contexte, le nom même du parti sautera sans doute, et avec lui le dernier verrou permettant la normalisation définitive d’un parti à l’histoire sulfureuse et à l’idéologie dangereuse. Le FN serait, à terme, méconnaissable. Déjà, son nom n’apparaissait plus ni sur les affiches ni sur les tracts. Il était planqué, comme le père fondateur, de peur qu’il fasse trop tache. Désormais, il se revendiquera comme le haut lieu de la défense des valeurs républicaines. Il en avait récupéré les héros comme on pillerait un cadavre et citait allègrement les figures tutélaires de la démocratie, il en tue désormais l’esprit et le contenu en s’arrogeant son principe.

La menace qui pèse sur la République française ne réside ainsi pas seulement dans les onze millions d’électeurs du FN, mais aussi dans le meurtre de la chose que représente le mésusage délibéré des mots. L’instrumentalisation du signifiant « républicain » accolé à un parti fasciste sonne le glas d’un régime politique en souffrance, pour lequel seize millions d’électeurs n’ont pas jugé utile de se déplacer le 7 mai. Ces abstentionnistes et autres « ni-ni » ont d’une certaine façon autorisé l’extrême droite à récupérer l’étiquette républicaine discréditée. Mais ils ne sont pas les seuls à avoir œuvré en ce sens.

Le FN annonce qu’il poursuit aujourd’hui la réécriture de son histoire. Lui qui défend dans ce domaine le roman national contre l’aigreur de la véracité des faits et la mauvaise conscience qu’elle charrie, se crée son propre mythe. Il est nationaliste, mais préfère désormais le terme de « patriote ». Il est viscéralement antirépublicain, et dit incarner le camp « républicain ». Enfin il est fondé sur un socle collabo et pétainiste, mais se réclame de la France libre de de Gaulle.

Si le programme nauséabond du FN se lisait auparavant entre les lignes, il se trahit désormais dans le reflet inversé du miroir. Aussi, lorsqu’on entend « transformation profonde », lisons plutôt « transformation de surface », opération marketing destinée à éradiquer définitivement la répulsion que son identité profonde et immuable inspire. On peut gagner des voix en étant ouvertement raciste, antisémite et négationniste, mais pas assez pour conquérir le pouvoir. Mieux vaut se faire le chantre de la « préférence nationale ».

Si, ces derniers jours, l’accent est mis par la presse sur la crise que traverse le FN, avec le retrait de Marion Maréchal-Le Pen comme la possible implosion qui guetterait le parti, il semble qu’il faille davantage redouter qu’applaudir cette restructuration qui, pour les optimistes, serait le signe avant-coureur du déclin. Car c’est précisément à la faveur de cette crise que le parti saisit l’opportunité de tirer un trait sur son histoire et d’éloigner le diable qui lui colle à la peau, pour se présenter, de manière plus fallacieuse et plus crédible comme un parti de gouvernement résolument normalisé.

 

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