A partir d’une lecture de l’ouvrage de Jérome Groopman : La force de l’espoir, son rôle dans la guérison. Ed. JC Lattès, 2004

Titre original : The Anatomy of Hope.

Myriam Mitelman rédigea cet article à la suite d’une lecture de l’ouvrage de J. Groopman, consécutive à la parution de l’article de Jerome Groopman, M.D. et Pamela Hartzband, M.D., The New Language of Medicine (Suivre ce lien pour découvrir l’article), traduit par David Briard et paru dans Lacan Quotidien n°73

Jérome Groopman, cancérologue, hématologue et chercheur américain, qui occupe à Harvard une chaire de médecine et dirige le département de médecine expérimentale du Beth Israel Deaconess Medical Center de Boston, livre dans cet ouvrage le condensé de son expérience de médecin.

[Il fut également, de nombreuses années durant, rédacteur pour les questions médicales au New Yorker, ce qui témoigne de son intérêt pour le contact et le dialogue avec le grand public, à qui The Anatomy of Hope semble s’adresser].

On peut être surpris par cet ouvrage consacré à l’espoir en médecine. N’est-ce pas là une notion empirique, un peu vague, nimbée d’humanisme de psychologie médicale, qui désigne habituellement la nécessité, pour le médecin, de conserver un caractère positif à sa relation avec le malade, en voilant si cela s’impose, une vérité trop difficile à énoncer ?

Non, résolument, le livre de Jerome Groopman va bien au-delà de cet aspect. L’espoir est un concept qu’il forge, et à l’épreuve duquel il interroge à la fois la subjectivité du patient et la fonction du médecin. On est émerveillé de constater que ce terme d’espoir prend alors la fonction d’un prisme à travers lequel se dessinent avec netteté maints contours de la relation médecin-malade.

Lorsque l’auteur évoque l’espoir, il désigne tout d’abord un certain ressort secret chez le patient, dont il revient au médecin de s’assurer s’il veut pouvoir le guérir. L’espoir du patient est ce facteur énigmatique, non prouvé scientifiquement, qui fait que les traitements sont supportés, que leurs effets sont démultipliés, que la mort annoncée est parfois tenue en échec. Jerome Groopman est un médecin convaincu, ne contestant nullement l’efficacité de sa discipline. Cependant son expérience lui a enseigné que la mise en œuvre du savoir médical  doit pouvoir  trouver un point d’appui dans la subjectivité du patient.

Citons le cas d’Esther, jeune patiente  dont l’attitude prit au dépourvu le Dr.Groopman  alors externe, porté par des idéaux scientifiques et une formation écartant toute considération  sur la vie affective et les « troubles de l’âme. Esther refusa de se soigner, et mourut à trente quatre ans de son cancer du sein. Elle avait simplement confié au jeune Groopman les reproches qu’elle s’adressait. Surprise du jeune médecin découvrant que le choix du patient peut totalement diverger de la perspective thérapeutique.

Autre histoire, celle de George, lui-même éminent professeur d’un Département de Pathologie à Harvard, atteint d’un cancer de l’estomac dont il n’ignore rien de la malignité. Il choisit cependant de s’infliger un traitement  extrêmement agressif que l’ensemble de ses collègues jugent malvenu, désespéré et inutile, et contre toute prévision statistique vient à bout de la maladie. Un « miracle médical »  mettant en lumière la victoire  du choix du sujet contre le savoir statistique. L’espoir se donne ici à déchiffrer comme une force qui ne se laisse pas arrêter par le savoir.

Le premier constat du Docteur Groopman est donc celui-ci, que l’issue d’une maladie grave est pour une part importante corrélée à ce facteur espoir, c’est-à-dire  au désir que mobilise  le patient.

L’auteur ne se contente pas cependant d’un recueil d’observations cliniques. Le second volet de sa recherche consiste à tenter d’énoncer en quoi le médecin a sa part dans ce mouvement subjectif, susceptible, dans bien des cas de favoriser la guérison.

Ses patients lui ont appris que certaines impasses thérapeutiques ne trouvent leur issue qu’à partir d’un point d’intimité du patient, et non dans les protocoles psychologiques ni même dans le savoir-faire du médecin expérimenté.

Nous découvrons l’histoire de Dan, arrivé à l’hôpital dans un état critique, susceptible d’être soigné, mais refusant tout traitement, bien qu’à bout de force, et malgré des trésors d’inventivité déployés pour le convaincre que le jeu en vaut la chandelle. C’est finalement un détail recueilli par hasard qui fera apparaître l’identification de Dan à l’un de ses camarades, mort dans des conditions où il croit reconnaître son propre destin. Ce n’est qu’à partir de ce moment que le Dr. Groopman trouve les arguments pour convaincre Dan, et ce faisant, le moyen de le guérir.

« Pour aider quelqu’un à trouver l’espoir, il est nécessaire de pénétrer dans son intimité », écrit-il. La thèse du Dr. Groopman est que l’espoir s’ancre dans un point d’absolue singularité   qu’il peut être vital de déceler pour que puisse opérer l’arsenal scientifique et thérapeutique dont dispose le médecin.

La réflexion de J. Groopman  dessine ainsi les contours d’une nouvelle éthique médicale, où la décision thérapeutique se réfère à la position subjective du patient, y compris dans ce qu’elle a parfois de plus absurde du point de vue de dit « objectif».

Il s’agit donc de faire naître l’espoir chez le patient. L’auteur va jusqu’à conceptualiser très précisément les coordonnées de cet acte chez le médecin. A travers des exemples détaillés, il met en lumière à quel point les discours préfabriqués sur le traitement et les chances de guérison sont inefficaces parce que peu crédibles aux yeux du patient. Dès lors que le médecin utilise un savoir ficelé pour amener le patient à espérer, écrit J. Groopman, il le leurre et le patient le sait. Aussi l’espoir que le médecin prétend faire naître chez le patient doit-il être authentique, c’est-à-dire fondé sur l’argument le plus proche de la position subjective de celui-ci. Cela suppose d’une part que le médecin connaisse bien son patient, et d’autre part qu’il sache décompléter le savoir qu’il a par ailleurs, scientifique ou statistique, lorsque ce dernier n’est pas en mesure de traiter avec précision la difficulté du patient. «L’incertitude de la science est elle-même source d’espoir ».

Il y a là un « paradoxe » que doit assumer le médecin, une traversée du savoir scientifique qui le fait s’avancer seul, sans garantie de succès, vers chacun de ses patients.

La réflexion du Dr. Groopman marque la limite de tout protocole, de tout savoir constitué sur la relation médecin-malade – même celui que chaque médecin s’est lui-même, avec l’expérience, constitué.  Promouvoir l’espoir – c’est renouveler, avec chaque patient, une alliance thérapeutique fondée sur ce qui lui est le plus particulier. Jerome Groopman nous fait découvrir une relation médecin-malade hors protocole, prenant en compte cette donne que dans les affaires humaines, tout ne saurait s’élucider. « L’exercice clinique de la médecine se résume à une suite d’énigmes imbriquées les unes dans les autres ». Cet énoncé à lui seul, ne fait-il pas enseignement ?

Comments are closed.