Vendredi 4 novembre à Aix-en-Provence, l’ACF-MAP avec la Librairie Vents du Sud organisait une soirée débat autour de la revue Le Diable probablement en présence de sa directrice : Anaëlle Lebovits-Quenehen, membre de l’École de la cause freudienne, psychanalyste à Paris.

Pourquoi Lacan sans point d’interrogation est le titre voulu pour ce numéro 9 de la revue dédié à Lacan. Anaëlle Lebovits-Quenehen dit avoir fait ce choix – inscrire Lacan comme préalable – pour ne pas en faire une question. Son choix prête à conséquence, le lecteur se laisse surprendre. Disons-le, ce numéro 9 rassemble avec brio témoignages, entretiens, photos d’œuvres, dessins, mais aussi, fictions et poésie révélant pour chacun (écrivains, intellectuels, artistes, psychanalystes) une rencontre avec Lacan, de son vivant ou pas, qui a fait surgir un inouï.

Hervé Castanet, membre de l’École de la Cause freudienne, psychanalyste à Marseille présidait ce débat, Françoise Denan et Alain Revel, psychologues cliniciens à Aix-en-Provence, membres de l’ACF-MAP y contribuaient.

Étonnement ? Peut-être pas, le débat prit d’emblée le style de la revue : vivant, passionnant, érudit, animé. Il connut ses rebondissements, une élaboration de savoir se produisait en direct.

19h, Hervé Castanet introduit le débat en référence au « Lacan fulgurant » qu’Anaëlle Lebovits-Quenehen nous offre de rencontrer dans ce numéro 9 : « Avoir rencontré Lacan a été la rencontre avec un réel, un inouï, pour chacun ». La réponse d’A. L.-Q. ne se fait pas attendre : « Je voulais l’appeler « Lacan le Diable » au sens du Diable amoureux de Cazotte, de la rencontre avec son Chè vuoi ?, son Que veux-tu ? qui interroge le désir et conduit à répondre à l’enjeu de son propre désir, à l’opposé d’un Va de retro Satanas ! » Le choix d’A. L.-Q. est clair, il concerne « uniquement ceux qui ont rencontré le Chè vuoi ? avec Lacan et qui ont choisi de l’aimer. »

Hervé Castanet interroge le « Démon de Lacan », titre de ce formidable entretien réalisé par les membres du comité de rédaction de la revue avec Jacques-Alain Miller : « Qu’est-ce qui agitait Lacan ? C’est cela le Démon de Lacan, démontrer en quoi Lacan a tiré des conséquences de ce qui l’occupe. Lacan en Diable, Lacan qu’on ne veut pas, Lacan le Démon. »

Puis, Françoise Denan oriente le débat sur l’enjeu politique de la revue : « Vous définissez votre revue comme politique des passions, pouvez-vous préciser ce en quoi parler de Lacan est politique ? »

A. L.-Q. : « Le Diableprobablement est une revue politique au sens général et interroge le malaise dans la civilisation. Née au moment du combat contre l’amendement Accoyer, elle va à l’envers du discours commun. Cependant, elle sort du point de vue binaire pour saisir la richesse d’un phénomène de civilisation, à la mode, selon ses multiples facettes. »  A. L.-Q. mettra l’accent sur la visée toute particulière de cette revue, elle n’est ni le contre, ni l’indignation, mais le choix d’interpréter à partir du discours psychanalytique le Diable en tant qu’Autre probable-ment.

Alain Revel soumet alors au débat l’importance du corps présent dans la rencontre avec Lacan : « Ça fait la différence d’avoir eu rapport au corps, à la voix de Lacan. Les témoignages de ceux qui ont rencontré Lacan vivant le démontrent très nettement. »

A. L.-Q. se saisit de la question et poursuit l’interprétation : « la différence est apparue dans l’après-coup de la finalisation de la revue, nous dit-elle, mais c’est certainement pourquoi j’ai extrait cette phrase de Philippe Sollers pour en faire le titre de l’entretien : “Le corps sort de la voix” ».

« Ceux qui n’étaient pas présents au séminaire de Lacan ont eu affaire à une perte, celle de ne pas avoir été là. Ils ont dû alors partir de cette perte » intervient Nicole Guey. Introduire ainsi la question de la perte oriente le débat sur celle du coût de l’engagement et de la mise nécessaire pour ceux qui ont fait le choix de Lacan, de son enseignement, de l’analyse, de l’analyste. « Il faut y mettre du sien intellectuellement, il y a quelque chose qui touche à la position du lecteur. Lacan, son être de jouissance est impliqué quand il dit […] et chacun en lisant Lacan est interrogé dans son être de jouissance. » affirme H. Castanet. Pourquoi lire Lacan produit un tel effet sur le lecteur alors qu’à lire Merleau Ponty, il n’en est pas de même ? Philippe Mengue, philosophe présent dans la salle, n’est pas tout à fait d’accord pour « dire que la philosophie est une construction de concepts ». Selon P. Mengue, « elle touche également au réel chez Nietzsche, Deleuze, Foucault ». Mais est-ce pour mieux le recouvrir ? Le débat recourt alors à de nombreuses références chez les philosophes comme chez Lacan : « L’Étourdit », « Kant avec Sade ».

Martin Quenehen intervient, présent alors qu’il vient d’enregistrer l’émission qu’il produit sur France culture, « Sur la route », en direct du Pasino d’Aix-en-Provence. Lui qui n’a pas connu Lacan constate avoir écrit dans ce numéro 9 une fiction, « Le trip du dernier capitaliste », dans laquelle « le cambrioleur entre chez Lacan, mais ne le rencontre pas non plus, il se rencontre lui-même ».

Un arrêt « Sur la route » de M. Q. intitulée pour la circonstance « La bonne fortune d’Aix » s’impose. M. Q. y interroge « la place de cette cathédrale profane [le Pasino] dans la ville, ainsi que les pratiques et l’imaginaire des joueurs venus défier la fortune » entouré de ses invités : Hervé Castanet, Philippe Mengue et Madou Touré, joueur « expérimenté », aujourd’hui directeur d’une académie de billard. À l’écouter, nous découvrons cet univers, y compris sur le plan sonore. Le Pasino, version moderne du casino, semble très éloigné du luxe. Situé à la sortie de la ville au carrefour des autoroutes, il fait voler en éclat l’idée d’un possible éthos provençal. Véritable « bunker », pâle imitation de Vegas, cible des braqueurs, sa fréquentation est devenue jeune et populaire. Que vise le joueur ? Pas le gain, répond Madou Touré, « ce qui donne l’adrénaline, c’est de jouer le franc au-delà de qu’on n’a pas quelle que soit la fortune ! » H. C. fait l’hypothèse que le Sujet qui joue à la machine à sous ou à la roulette, indifféremment, recherche toujours cet instant où il peut faire l’épreuve qu’il y a une tuché. Il vise l’instant où quelque chose peut abolir les déterminismes du symbolique et faire surgir un point de réel : enfin une rencontre !

Retour à la librairie Vents du Sud située au cœur de la ville : H.C. démontre que « la présence du corps ne suffit pas, encore faut-il qu’il y ait rencontre, une présence particulière qui fasse surgir un réel. »  La question de la tuché est, là aussi, bien présente au centre du débat.

 

Après deux heures de débat intense, riche, référencé, où l’exigence de rigueur contribuait à lui donner sa force, vint le moment de conclure sur le mode de la coupure. Ce fut également le temps des dédicaces : Le Diable probablement par Anaëlle Lebovits-Quenehen et Jours tranquilles d’un prof de banlieue par Martin Quenehen.

Nous les remercions sincèrement, tous les deux, de nous avoir offert cette occasion d’un débat lacanien de grande qualité en une librairie qui, toujours, nous réserve un accueil chaleureux.

Dominique Pasco

Comments are closed.