« Un symptôme  peut servir de Nom du Père » par Solenne Albert

Lors de son intervention à la radio Belge, mercredi 16 novembre, Jacques Alain Miller rappelait la fonction essentielle que peut revêtir un symptôme pour un sujet, allant parfois jusqu’à servir de Nom du Père. Cette parole a fait écho à ma rencontre avec cette patiente:

Mme M. m’est adressée par l’équipe du CMP dans lequel je travaille car elle souffre « d’attaques de panique » au volant qui lui sont énigmatiques. Elle a 45 ans, est mariée et mère de trois enfants.

Lors du premier entretien, Mme M. est très angoissée, elle parle très vite et ne comprend pas ce qui lui arrive. Depuis deux mois, elle ne peut plus conduire à cause de crises d’angoisses qui la tétanisent; elle dira « c’est comme si j’avais une cocotte minute dans le ventre prête à exploser. » Son médecin traitant lui a dit qu’il s’agissait « d’attaques de paniques » et l’a mise sous antidépresseurs.

Mme M. est préparatrice en pharmacie, ses « attaques » ont débuté lorsque son employeur a décidé, sans lui laisser le choix, de modifier son emploi du temps, lui demandant de travailler six jours sur sept alors qu’elle travaillait, jusqu’ici, cinq jours par semaines. Ainsi, depuis deux mois, elle n’a plus aucun moment pour se reposer, elle tremble, mélange tout et ne parvient plus à s’occuper de ses enfants. Son employeur lui a lancé cette phrase sans équivoque:« c’est comme ça ou tu t’en vas ». Devant cet énoncé, Mme M. est restée silencieuse, ce qui lui a  renvoyé la conviction d’être, depuis toujours, « la bouche trou ». Depuis un mois, elle est en arrêt de travail ce qui majore son angoisse. Elle ne cesse de penser et ne trouve plus le sommeil.

Mme M. se souvient d’avoir éprouvé cette sensation de « peur panique », il y a quatorze ans, alors qu’elle était enceinte de son premier enfant. Un moment d’inattention de sa part a eu pour conséquence un grave accident de voiture. Elle se rappelle avoir ressenti, à ce moment là, la peur de perdre son enfant. Mme M. ne peut en dire plus, elle ne voit pas en quoi ce souvenir serait lié à ce qu’elle éprouve aujourd’hui. Elle se souvient ensuite d’un moment d’effondrement dépressif, à la naissance de ce premier fils. Incapable de s’en occuper, elle était restée alitée six mois, puis était parvenue à se ressaisir. Elle n’a, depuis, jamais ressenti ce mal être. Elle n’a pas eu d’autre accident de voiture, jamais connu de perte brutale. Elle ajoute qu’à part son père, il n’y jamais eu de décès dans son entourage.

Je l’interrogerai donc sur son père. Celui ci est décédé, deux ans plus tôt, des suites d’une longue maladie. Mme M. était auprès de lui mais elle a pourtant le sentiment de ne pas avoir pu lui dire au revoir. Elle ne fait aucun lien avec ses angoisses actuelles, elle a le sentiment d’avoir « fait son deuil » puisqu’elle n’éprouve jamais le besoin de le pleurer ni d’évoquer sa disparition. Elle ne pense pas que cette perte puisse avoir des conséquences dans sa vie actuelle. Elle se souvient pourtant que, depuis le jour de son décès, une phrase ne cesse de tourner dans sa tête:« je n’ai plus de racines ».

Cette pensée lui semble insensée, elle ne se l’explique pas à elle même et n’en a jamais parlé à personne. Elle se souvient juste de son père comme d’un homme qui « savait se faire respecter ». Sa parole était entendue. La famille était pour lui un idéal important et il voulait que ses six enfants s’entendent bien et restent unis, par delà sa mort. Depuis qu’il n’est plus là, Mme M. a le sentiment qu’un trait d’union a disparu, elle redoute les réunions de famille, où des choses qui ne se seraient pas dites auparavant pourraient se dire aujourd’hui sans ménagement.

A l’issu de ce premier entretien, je soulignerai chacun des éléments importants dont elle vient de me parler: le décès de son  père, la parole de son employeur, lui indiquant qu’en effet, cela a eu des effets sur elle.

Elle ajoutera que son père était, par ailleurs, un homme « dépressif », il passait la plus grande partie de ses journées dans son lit, ne parlant à personne. Son travail l’angoissait énormément et, rapidement, il baissait les bras. Je soulignerai cet énoncé, lui indiquant que « c’était lui qui baissait les bras ».

Lors de notre deuxième rencontre, Mme M. revient sur la maladie de son père, dont elle n’avait jamais reparlé à personne jusqu’ici. Celle ci a duré deux ans. Elle se souvient que, durant sa maladie, son père avait beaucoup changé. De taciturne et mélancolique, il était devenu gai et serein. Elle se rappelle maintenant que ses premières crises d’angoisse au volant sont apparues alors qu’elle se rendait dans le service de soins palliatifs où elle allait quotidiennement le voir. Elle était alors, comme aujourd’hui, « au bout du rouleau », « épuisée ».

Elle constate que, dans sa vie, depuis cette période, « ça va vite » en permanence. Dès le réveil, elle court sans cesse, elle « démarre vite ». Son angoisse est sa « pédale de frein », son « voyant rouge intérieur ». Ces crises d’angoisses ont pris l’ampleur « d’attaques de panique », effrayantes et incontrôlables, avec la modification de son emploi du temps imposée par son employeur. Elle s’aperçoit que celles ci opèrent pour elle comme des « piqûres de rappel » qui l’obligent à ralentir. Sans elles, elle ne connaît pas ses limites.

Lors de notre troisième rencontre, Mme M. me dira avoir décidé d’arrêter les antidépresseurs qui lui ont été prescrits à cause de sa « phobie des voitures ». Elle n’en éprouve plus le besoin et constate qu’ils la rendaient agressive et lui donnaient l’impression de planer. Elle a repris son travail, a un rythme moins soutenu. Elle constate que les « crises de paniques » au volant apparaissent lorsque « tout va trop vite » et qu’elles disparaissent lorsqu’elle retrouve une organisation rigoureuse dans son travail et dans sa vie. Elle a décidé de tirer les conséquences de ce savoir nouveau sur elle même et reprendra contact si elle en éprouve à nouveau le besoin.

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