Manuel Valls en campagne : « je veux incarner une gauche qui dit la vérité ». Ça, c’est envoyé. La formule n’épuise pas le discours du candidat, mais à l’évidence la mise a été placée dans ces mots-là. D’autres ont peut-être jalousé ce slogan à la force tranquille mais nul n’a jugé opportun de se hisser à cette épure. A ce point-là de la gauche, il n’y avait que Valls.

 

Il n’est pas nécessaire d’être politologue pour entendre là – il n’y a pas lieu même d’écrire « là-dessous » – un appel du socialiste vers les électeurs de la droite. Mais, remarquablement, la dialectique « gauche se retourne en droite par la médiation de la vérité » est un aller qui n’a pas son retour : un candidat de droite qui dirait incarner la « droite de la vérité » pour entrer dans la danse face à ce pas de Valls s’adresserait aux mêmes électeurs que lui. C’est ainsi : à droite la gauche-qui-dit-la-vérité, à droite aussi la droite-qui-dit-la-vérité. Quel est donc ce lieu commun ?

Le lieu de noces paradoxales des « pieds sur terre » et de la transcendance, lieu projeté par une certaine idée (dont Jacques Rancière par exemple abstrait la déclinaison contemporaine) de ce que gouverner veut dire. Gouverner les pieds sur terre ce serait savoir s’incliner devant quelques « grands équilibres » économiques, migratoires, écologiques – d’une transcendance à rendre jaloux les dieux et la nature – auxquels ne manque que la parole. M.Valls veut marquer qu’il n’est pas en retard sur le temps de cette lucidité-là.

Il est conscient donc de la difficulté de gouverner mais – make nomistake – cette difficulté n’est pas dans l’embarras du choix : elle est bien plutôt d’avoir à convaincre les gouvernés, qui manifestent épisodiquement leur colère d’ignorants, qu’ils ont raté un train (terminus la fin de l’Histoire, la chouette de Minerve sera sur le quai) de la fenêtre duquel des experts agitent la vérité pour dire adieu au tristement fameux temps des idéologies.

Cette formule de candidat nous apprend donc cela : le meurtre de la politique – entendue non comme passion de faire rêver mais au moins comme reconnaissance de litiges au sujet de ce qui est le mieux pour quelques années – peut être vendu sous le nom de programme politique.

Des « gouvernants équilibrés » : telle était finalement la promesse, mais le slogan n’a pas fait mouche. M.Valls n’a pas passé le stade des primaires, victime des votants qui, sans savoir ce qu’ils disent, pèsent pourtant sous le nom de « voix » dans le jeu politique. Les petits porteurs de la vérité, héritiers du philosophe-roi platonicien qui avait tant à dire sur l’impopularité de celui qui a vu, sont comme lui élus d’en haut mais ne le sont pas toujours d’en bas.

Le prétendant n’avait pourtant pas hésité à marquer son engagement dans la contemplation des faits qui gouvernent les gouvernants. C’est le début de sa phrase : une « incarnation » de la vérité en sa personne. Se sentir incarner la vérité est une passion inconfortable, il y aurait eu de quoi craquer au sommet de l’Etat, réaliser brutalement que le gouvernail bouge encore et initier sous ce choc sartrien un devenir-Ubu : l’inélection du candidat de la vérité, qui s’est aux dernières nouvelles rapproché d’un autre homme qui a vu (François Bayrou) est peut-être une bonne chose pour lui, aussi.

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