“Une admission extrême” par Yves-Claude Stavy

Lise a été accueillie, septembre 2009, en classe de seconde à l’Institut Hospitalier Soins Etudes d’Aubervilliers. A bien des égards, il s’agissait d’une admission ‘extrême’.  Mais pour qui s’oriente dans sa pratique quotidienne avec Freud et Lacan, y a-t-il pari qui ne doive accuser de réception de quelque extrême à nul autre pareil, à la fois intime et ‘exter’ au sujet lui-même ?  

Poursuivre des études, relevait pour Lise d’une position éthique incluant de petites inventions hors du commun qui, jusqu’alors, l’avait tenue en vie. Ce n’est pas qu’étudier fût pour elle, chose aisée : Lise, en effet, n’a jamais bien compris le sens que produisent les mots entre eux. Le sens commun, le ‘bon sens’, – celui par lequel, selon Lacan, ‘la politique atteint son sommet de la futilité’ (1)-, ce bon sens, seriné par les autres, Lise n’en a pas l’usage. Le malentendu du sens, lui est inconnu. Lise ne s’en plaint pas. Cela relève pour elle, d’un ‘sans espoir’ distinct de toute désespérance … et dont Lise se ‘débrouille’ : spécialement à l’école, par elle très investie depuis la maternelle. C’est que la mère de Lise a interrompu sa propre scolarité au terme de sa troisième, – afin de s’occuper d’une sœur aînée, schizophrène. Cette femme voulut bien nous appendre ce qui s’empara d’elle, enceinte de Lise, au ‘rendez-vous’ d’une échographie : ‘l’annonce’ que c’était une fille, venant geler à l’instant, sur l’écran, l’image vivante de son futur bébé,  – de crainte que sa fille ne fût, elle aussi, schizophrène.

Lise, avec l’école, invente du nouveau. Dès son plus jeune âge, malgré de grandes difficultés d’orientation spatiale, elle rejoignait seule l’établissement scolaire, mémorisant la forme de tel numéro d’immeuble, le graphe de telle enseigne : autant de  ‘petits posters perso’ (comme elle les appelle), lui indiquant où tourner. Son père, chauffeur de taxi, a toujours eu ‘à cœur’ d’avoir une fille ‘débrouillarde’. Les cartes de routes singulières que Lise visualise ‘par cœur’, lui ont permis de circuler dans les études… Du moins, jusqu’en troisième : n’ayant inquiété personne, des années durant, – pas plus à l’école que dans son entourage -, la jeune fille sage aux notes suffisamment bonnes, devint du jour au lendemain, persona non grata d’un lycée soucieux du profil calibré des élèves, comme doit l’être toute entreprise commerciale, de ce début de siècle. Cela faillit coûter la vie à Lise, (comme nous le montrerons).

Dire ‘oui’ à son admission à l’Institut Soins Etudes, a relevé, pour nous, d’une  urgence.  Non pour soigner le ‘sans espoir’ dont Lise est si sensible depuis sa tendre enfance ; mais afin de donner chance à un prolongement inédit de ce qu’elle avait su produire jusqu’alors, sur le chemin de l’école : pour se faire une conduite.

Lise fut accueillie à l’Institut, en qualité d’interne. Après 17 heures, elle ‘rejoignait, seule’, l’Unité de nuit du service. C’était une bonne élève en mathématiques. Se débrouiller avec les auteurs français du XVII° siècle, tenait par contre pour elle…du casse-tête chinois : le professeur de lettres si enthousiaste de contribuer à l’expérience menée à Aubervilliers, était tout simplement catastrophé !  Après plusieurs semaines d’explications patientes des Femmes savantes, il dut, scrupules au ventre, coller un ‘1’ à la copie de la jeune fille.  Ce fut à Lise, alors, d’expliquer – ô combien patiemment – à son prof, éberlué, que :’1, c’est pas zéro’,  qu’elle saurait améliorer ses rendus,  et que succèderaient d’autres notes.  Mais non, ce n’était donc pas Kant avec Sade, c’était  Lise avec Cantor !

Tu devrais t’orienter vers un cycle court’, avait proféré ‘doctement’ le professeur principal de la classe du lycée dont Lise fut exclue en juin 2009. Elle n’avait alors éprouvé nulle rancœur envers le professeur : ‘l’annonce’, seulement, lui avait fait ‘bizarre’. De retour chez sa mère, Lise s’entailla gravement le bras : ‘regardant couler le sang, sans fin’.

Durant l’année à l’Institut Soins études, Lise, bien plutôt, affina sa manière de circuler… dans son propre symptôme !

Elle trouva la voie du secrétariat : devant l’écran de son ordinateur, Lise n’a pas sa pareille pour  ‘couper – copier – coller’  les fichiers les plus pertinents, – donnant vie, ainsi, aux dossiers les plus rébarbatifs. Ses performances fort appréciées, ont diversifié ses liens sociaux. Lise ne trouvait pas ‘une place’ dans le monde supposé déjà là,  c’est un monde qui venait à naître, second à son symptôme!

La jeune fille a quitté l’Institut en juin 2010, après avoir réussi sa Seconde. Elle est actuellement en stage dans une bibliothèque, et continue à venir en consultation.

 

 

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