ANAËLLE LEBOVITS-QUENEHEN. Lacan dépassionné. Paru ce jour en librairie, le Lacan, envers et contre tout d’Élisabeth Roudinesco est un livre bien écrit, clair, qui se lit facilement. Outre une citation de Louis Althusser, l’auteur a placé en exergue une citation de Lacan : « Regardez ma Télévision. Je suis un clown. Prenez exemple là-dessus, et ne m’imitez pas ! ». À vrai dire, Élisabeth Roudinesco n’imite pas plus Lacan qu’elle ne prend exemple sur lui.

Elle ouvre son texte en reconnaissant qu’elle avait jadis imaginé que ses travaux dépassionneraient les débats qui entourent le grand homme. Elle reconnaît sa naïveté, mais on entend que son idéal réside là, dans une volonté de dépassionner ce qui ne peut, de par sa nature même, que susciter la passion.

En effet, au-delà de l’homme que fût Lacan, sa tension permanente vers le réel suscite, et suscitera toujours – tant qu’elle sera perçue – la passion, que cette passion se monnaie en passion de l’ignorance ou en passion de l’impossible à savoir – passions antagonistes s’il en fut. Donc, dans cet ouvrage, rien de trop passionné à l’endroit de Lacan. Il est tout de même présenté comme un libertin. Rien de trop passionné, quoi que…

Deux annotations de détail – mais le diable s’y loge de préférence, comme le dit un proverbe – attirent l’attention. La première est  page 77 : « Déclamé, transcrit, établi ou enregistré, le Séminaire de Lacan fut, durant un quart de siècle […] » Cette formulation met sur le même plan quatre participes passés dont le sens est pourtant fort différent. Le Séminaire était déclamé par Lacan en personne ; il était retranscrit et enregistré par ceux qui s’autorisaient à le faire ; il est établi depuis 1973 par Jacques-Alain Miller, désigné pour ce faire par Lacan. La lettre, au sens matériel du terme, porte témoignage de cette différence. Quand il s’agit du Séminaire déclamé, transcrit et enregistré, le terme « Séminaire » s’écrit en caractères droits, dits romains ; quand il s’agit du Séminaire établi, la typographie exige l’italique.

La deuxième annotation se situe dans l’avant-dernier paragraphe du livre, page 175 : « Lacan mourut sous un faux nom le 9 septembre 1981 […] Bien qu’il eût […] souhaité des funérailles catholiques, il fut enterré sans cérémonie et dans l’intimité au cimetière de Guitrancourt ».

Entendons : la trahison commença au lendemain de sa mort ; quand il fallut enterrer la dépouille de Lacan, ses dernières volontés ne furent pas respectées par les ayant-droit. Là réside la passion de l’auteur, car l’accusation est grave. Elle ne vise pas Lacan en personne, mais ceux à qui il s’en était remis. Où avait-il la tête ? On reste sur cette interrogation.

 

 

 

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